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Invasions ont rajeuni notre peuple... » Cela, je n’en sais rien... « de même que la Réforme a approfondi son sentiment religieux... » Je n’en sais rien non plus... « cette troisième intervention de l’Allemagne a eu incontestablement son rôle bienfaisant. » M. Raynaud considère qu’au milieu du XVIIIe siècle, quand l’Allemagne intervint, notre civilisation s’était affaiblie. Alors : « L’influence allemande nous a donné ou rendu le sens du simple et du familier, et nous a remis en contact avec la nature. Elle a favorisé en nous l’éveil du sentiment lyrique. Plus tard, elle a refait notre éducation philosophique et nous a habitués à regarder derrière les phénomènes observables, à embrasser l’univers, l’infini. Elle est nécessaire pour expliquer un Chateaubriand et un Lamartine, bien qu’ils ne lui doivent pas tout ; et un Musset lui-même, un Gautier, un Flaubert en relèvent dans une certaine mesure. L’âme française a donc été considérablement élargie par la poésie, la sentimentalité et la spéculation germaniques... » Dans les sciences morales, nous devrions à l’influence allemande l’idée de « suivre le sourd travail » que font « les masses durant les siècles de l’histoire, l’idée aussi de ne pas omettre l’effet des « instincts à peine conscients » qui mènent les individus ; nous lui devrions « la compréhension de tout ce qui est populaire, primitif, involontaire » et « une notion plus exacte du déterminé, du nécessaire, dans l’évolution historique, et de la solidarité des phénomènes humains, de leur dépendance du milieu physique et moral. » Bref, « un Michelet, un Taine, un Renan seraient impensables... » impensables : il doit y avoir une faute d’impression... « dans une France qui n’eût pas été secondée par l’Allemagne ; peut-être aussi un Victor Hugo et un Leconte de Liste, et ce sont là de grands noms. Plus près de nous, l’influence allemande a remis en honneur, dans la philologie et l’histoire, les sévères méthodes que nous avions possédées autrefois, mais que nous avions laissé perdre ; et c’est elle qui a formé ces G. Paris, ces P. Meyer, ces d’Arbois de Jubainville, ces Monod, etc. , qui ont ressuscité tout notre passé. Dans l’archéologie et l’histoire de l’art, dans la géographie, l’économie politique, elle a été pour nous également une maîtresse des plus utiles. Partout où il s’agissait de sentir, de comprendre, d’interpréter le réel sous ses diverses formes, nous lui devons énormément. » Nous lui devons énormément, si nous lui devons tout cela. Mais je ne le crois pas.

Ce résumé a une ampleur où je crains de m’aventurer, de me perdre. Avons-nous appris de l’Allemagne à « sentir, comprendre et interpréter le réel sous ses diverses formes ? » Ces grands mots-là