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a sorti de son manteau des fusées qu’il avait réservées pour nous.

On devine qu’il est facile de puiser dans le trésor des traditions de la Alberca. Pour la visite royale, fête extraordinaire, les préparatifs avaient été faits sous la direction de l’actuel gouverneur civil de Madrid, don Eloy Bullon, député du district auquel appartient la Alberca (nous sommes ici dans la province de Salamanque et non plus, comme à las Hurdes, dans celle de Cacerès.) Don Eloy Bullon, qui est connu des historiens de la philosophie par un livre extrêmement suggestif sur les Précurseurs espagnols de Bacon et de Descartes, connaît admirablement et sait aimer sa petite patrie comme la grande. Il avait tout réglé pour que le roi pût goûter sous ses divers aspects le charme du village d’autrefois qui est si vivant. Dans le projet primitif, le Roi devait passer une nuit à la Alberca, où une maison lui avait été réservée sur la place de l’Église ; là l’attendaient, avec des meubles anciens de la région, de beaux portraits de la Reine et des enfants royaux, et aussi un très bon portrait d’Alphonse XII. Mais Alphonse XIII, séduit par les délices du bain dans la rivière des Batuecas et par la plénitude du repos que promet et que donne la légendaire vallée, ne se laissa point entraîner par le gouverneur civil de Madrid qui était allé à sa rencontre. Il y gagna du moins d’arriver à la Alberca dans toute la splendeur d’une matinée de juin. Les Albercanos, en masse, avaient harnaché chevaux et mules de leurs plus riches harnais, et, avec une profusion de grelots et de rubans, ils s’étaient portés à la rencontre du souverain. Dans les rues étroites étaient dressés de nombreux arcs de triomphe et l’on écrasait sur les petits pavés pointus des plantes aux arômes subtils. Aux fenêtres pendaient les admirables étoffes brodées où l’on voit des fleurs et des animaux merveilleux, et où des générations de grand mères ont mis tout le génie de leur longue patience et toute leur poésie.

A l’église, où la piété des siècles passés a entassé les riches ornements, un Te Deum fut chanté. Puis eut lieu le banquet qu’offrit don Eloy Bullon dans la grande salle de l’école publique, qui donne sur la plaza Mayor, aujourd’hui plaza de Eloy Bullon. A la droite du Roi était l’alcade du village. Du balcon de l’école, on avait un spectacle magnifique, celui de la foule ; c’est de là que, plus tard, le Roi devait voir danser, à l’ancienne mode, jeunes filles et jeunes gens. Un groupe de jeunes filles qui lui furent présentées, portait des costumes particulièrement somptueux. Coiffées de merveilleux foulards ou de fines dentelles, croisant sur leurs corsages de velours des châles de Manille, elles ont quatre ou cinq jupes de fort drap, superposées,