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terminé par le plus magnifique et le plus réconfortant des contrastes.

Le Roi est sorti du pays de las Hurdes par la célèbre vallée de las Batuecas, où les Carmes ont transformé le désert en. un paradis terrestre. Assurément, ce paradis ne peut admettre qu’un très petit nombre d’élus ; mais, en quittant las Batuecas, le roi arrivait à la Alberca, qui a près de trois mille habitants, et c’est là que le contraste avec les pays qu’il venait de parcourir tient du prodige. Le portillo de la Cruz, que l’on franchit à plus de douze cents mètres d’altitude entre las Batuecas et la Alberca, sépare vraiment deux mondes.

La Alberca a conservé, toutes pures, les traditions saines et raffinées d’une antique civilisation chrétienne. Là aux jours de fête, une grande allégresse déborde sans trouble et sans obstacle. Les maisons du village, dont les charpentes de bois bruni et dont les tuiles panachées de lichens décorent avec les fleurs des balcons en encorbellement, les rues étroites et montueuses, les costumes, les danses, et toutes les réjouissances, ont une délicieuse saveur d’autrefois. On mène encore à la Alberca la vie de travail calme et d’espérance sereine et confiante que nous nous plaisons à imaginer comme ayant été celle de nos pères. Situé au pied de la montagne de France (Peña de Francia), au sommet de laquelle se dresse le sanctuaire de Notre-Dame de France, le village a pour grandes fêtes les fêtes de la Vierge, et avant toutes, l’Assomption. En cette solennité, où l’orientale Elche célèbre dans sa cathédrale un « Mystère », la Alberca représente, sur la place de l’Église, un auto sacramental, dont l’origine remonte vraisemblablement à l’époque du protestantisme.

Je revois, très proche dans ma mémoire, le jour où j’eus la révélation de ce spectacle, que j’ai revu depuis, non avec la même surprise, mais avec le même plaisir. Du porche de l’église, aux places que la courtoisie de la municipalité a réservées à mes amis et à moi, nous dominons la foule mouvante et pressée, toute constellée des beaux foulards rouges, verts, jaunes et bleus, des femmes. Un personnage s’avance sur l’estrade abritée d’un grand vélum attaché aux fenêtres de deux maisons. Vêtu de la cape, coiffé cavalièrement, il débite en guise de prologue, arpentant la scène, quelques critiques sans méchanceté à l’adresse des gouvernements et quelques doléances sur la lourdeur des impôts. La foule manifeste son assentiment avec d’autant plus de force qu’elle attend depuis longtemps.

Puis commence la petite pièce traditionnelle en son fond, mais légèrement remaniée chaque année par un habitant du village.

Un bon et honnête chrétien, vêtu de peaux hirsutes, figure le