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mesure de joie avec ce que les pauvres habitants connaissent. Ils entourent leur Roi, ils lui baisent les mains ; ils lui racontent leur immense misère. Le Roi parle aux uns et aux autres ; il interroge ceux qui ont été soldats au Maroc ; il distribue aumônes et remèdes. Le voici à Ladrillar qui soulève la paupière d’une enfant dont le docteur Varela lui a expliqué le mal : l’enfant sera envoyée à Madrid et opérée, aux frais du Roi. A Fragosa, il entre dans la cabane de Juan Crespo, que le paludisme a conduit, tout jeune, aux portes de la mort. « Maintenant, je mourrai sans regret ; j’ai vu mon Roi, « dit Juan Crespo. (On n’apprend pas ces phrases-là à las Hurdes, ni rien qui les suggère.) Souvent, près du village, le Roi s’assied sur la roche, au bord du chemin ; il a de bon matin lancé son veston à un homme de sa suite ; il se repose un moment en fumant une cigarette, ou il se restaure tout en conversant avec les pauvres gens qui se pressent autour de lui. Le matin, il va faire sa toilette au ruisseau qui est la seule gaîté, heureusement intarissable, de chaque vallée.

Au cœur du pays, il a été rejoint par l’admirable évêque de Coria qui, plusieurs fois déjà a parcouru à cheval cette région déshéritée de son diocèse. Le rapide voyage, dont le caractère est complété par l’arrivée de l’évêque, passe sur le pays comme une grande vague d’espérance.

Le retentissement de cet acte royal a été très grand en Espagne, en dépit d’un luxe de précautions policières où la volonté royale n’était sans doute pour rien, et qui ajoutait aux difficultés naturelles de l’information. Peut-être ce zèle policier est-il pour quelque chose dans le pessimisme des commentaires par lesquels un assez grand nombre de publicistes ont remplacé les récits du voyage qu’ils n’avaient pas été à même de faire. On a beaucoup écrit, au cours du voyage, que la très heureuse initiative royale était d’autant plus importante qu’il y a partout en Espagne des pays assez semblables à ceux de las Hurdes. Assurément chacun connaît des pays plus ou moins misérables : mais que n’a-t-on permis aux gens de faire des comparaisons ? En généralisant encore, et non sans verser dans la politique ou même dans la philosophie politique, on a voulu voir dans le cas de las Hurdes un raccourci du cas de l’Espagne elle-même : canton abandonné des gouvernements et de l’administration, sans communications, sans ouvertures sur le dehors... On devine comment ce thème peut être développé.

Et il y a beaucoup de vérité dans tout cela. Mais il n’y a pas toute la vérité. L’Espagne est le pays des contrastes. Et le voyage royal s’est