Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/694

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La restauration de Sainte-Croix ne fut tout à fait terminée que sous le règne de Charles X. A cette date, trente ans après le Génie du Christianisme, en pleine vogue du Moyen-âge, l’événement passa pour ainsi dire inaperçu. Les romantiques découvraient bruyamment le passé. Est-ce manquer de respect à cette école illustre, que de dire, en termes familiers, qu’elle enfonçait une porte ouverte ? Mais on peut tirer de cette étude une morale plus importante. On a introduit dans notre histoire une série de divisions ; on a pris l’habitude de la morceler en tronçons : Renaissance, Réforme, Révolution, apparaissent dans les manuels comme des coupures de notre histoire ; classiques et romantiques, champions de l’Antiquité et champions du Moyen-âge, se combattent au nom des âges divers de notre passé. Serait-ce trop de demander qu’on renonce à cette niaiserie des Deux Frances ! La cathédrale de Sainte-Croix, voulue gothique par Henri IV, confirmée gothique par Louis XIV, est une leçon éloquente de notre continuité : elle montre que le Moyen-âge, à aucun moment de notre histoire, n’a été pour nous lettre morte. Elle est, pour qui sait voir, une œuvre de même sens, sinon de même prix, qu’un Polyeucte et qu’une Athalie.

Voilà ce qui devrait faire de Sainte-Croix d’Orléans, si nous savions mieux notre histoire, un monument national. Il se terminait, je l’ai dit, en 1829, à peu près en même temps que commençaient les travaux du Dôme de Cologne. Par quel prodige les romantiques, qui se flattaient de nous rendre le secret du Moyen-âge, s’éprirent-ils d’une belle passion pour Cologne, et n’eurent-ils que mépris pour Sainte-Croix d’Orléans ? Ce serait une autre histoire, et elle serait aussi fertile en enseignements. C’est du moins un grand honneur pour M. Chenesseau que d’avoir renouvelé la gloire de sa cathédrale, et de nous avoir rendu un si beau fragment de notre passé. Il a bien mérité de son église natale. Puisse-t-il, en récompense, obtenir la joie d’avoir sa place dans une des stalles magnifiques du chœur offert à Sainte-Croix par la piété de Louis XIV !


LOUIS GILLET.