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n’était nullement une nouveauté ; il n’est pas impossible que ce goût se fût cristallisé autour de la cathédrale d’Orléans. La belle médaille de Duvivier et la gravure de Moreau le Jeune, consacrées l’une et l’autre à l’œuvre de Trouard, expliquent sa popularité. Trouard était d’ailleurs un fin décorateur. Esprit actif, agile, il ne manqua pas de se renseigner et de se préparer à son œuvre : voyages, études, il ne négligea rien pour prendre une teinture de son sujet. Nous le savons par ses écrits, et mieux encore par son ouvrage : le dessin des tours octogones rappelle la cathédrale de Toul, et le couronnement fait penser à Rouen et à la Tour de Beurre. Sans doute, tout cela n’est pas d’une archéologie rigoureuse. Le moindre élève des Monuments historiques reprendrait aisément l’auteur sur des anachronismes et sur une foule d’hérésies. Mais il est impossible de méconnaître sur cette brillante façade la grâce d’un génie facile qui se joue. Il y a plus : un instinct très sûr a conduit le charmant artiste vers des formes que les puristes regardent comme condamnables, celles du gothique flamboyant. J’ai toujours pensé qu’il existait un rapport secret entre cet art joyeux et l’exubérance du Louis XV. Rodin le sentait bien ; dans la composition d’un panneau de rocaille, dans les lignes ondoyantes d’une boiserie de Cressent, dans les bouquets de roses qui couronnent le dossier d’un fauteuil, il savait reconnaître le tendre sourire gothique.

L’ornement est plein d’éclat dans l’œuvre de Trouard. Les feuillages sont les meilleurs qu’on ait sculptés depuis la Renaissance. Ce charme du détail montre la vie du style. Sans doute, on ne pouvait attendre d’un artiste du XVIIIe siècle la gravité profonde des maîtres du XIIIe. Trouard ne paraît pas avoir entrevu la magnificence décorative des grands portails à figures, l’incomparable beauté de la statue-colonne. Il n’a guère conçu, comme on le faisait depuis deux siècles, que la statue dans une niche. Fit-il pas mieux que de tenter un ennuyeux pastiche, comme celui qui nous afflige au portail de Sainte-Clotilde ? Tant pis pour ceux qui ne connaissent qu’un style d’art religieux : c’est la gloire d’une cathédrale, d’avoir pour « imagiers » un Pajou, un Houdon. Et les anges charmants d’Étienne Delaistre, qui surmontent la couronne des tours de Sainte-Croix, sont-ils des frères si indignes de ceux qui ont fait appeler Reims la cathédrale des anges ?