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qui fut expressément chargé de faire un dessin « à la gothique. » Il est bien curieux de voir le savant Jésuite, l’auteur de Saint-Paul-Saint-Louis, et l’un des esprits éminents de cet ordre qui opéra la fusion de l’humanisme et de la foi romaine, tracer un programme de décor à la vieille mode française. Il sentait qu’une façade jésuite irait mal à un monument du Moyen-âge. Il comprit qu’il fallait en respecter l’unité. Le gothique du bon Père est d’ailleurs d’une grande fantaisie ; l’auteur était loin de se douter de la vraie nature de cet art et de ses origines réelles. Il est allé prendre son modèle où tout le monde s’inspirait alors, en Italie : il emprunte sa composition au gothique très dégénéré de la cathédrale de Milan. Nul ne soupçonnait alors que nous eussions chez nous de meilleurs exemples à suivre. Ce morceau n’est plus guère que le reflet d’un reflet, mais il faut avouer que c’est un reflet aimable.

La même question se posa d’une manière plus aiguë, une soixantaine d’années plus tard, lorsqu’on en arriva à la grande façade. Cette partie de l’édifice avait été laissée en blanc par l’architecte du XVe siècle. C’était la coutume à cette époque, que chaque génération ne s’occupât, en quelque sorte, que de la « tranche » des travaux qu’elle avait à exécuter, en tenant compte des ressources momentanées de l’œuvre. Personne n’aurait songé à assujettir ses petits-neveux à l’exécution d’un programme qui dépassait les limites permises à la vie humaine. C’est ainsi que nos cathédrales s’étaient développées sans aucune préoccupation de l’unité de style, chacune de leurs parties signée de l’esprit de son temps, chacune avouant son âge, et comptant, si je puis dire, sur un air de famille pour harmoniser ensemble les nuances des siècles.

Au contraire, vers 1705, au moment où se posa la question de la grande façade, toutes les traditions gothiques avaient achevé de mourir en France. L’art classique régnait en maître. On pouvait parfaitement s’attendre à ce que la façade d’Orléans fût conçue dans ce style, comme venait d’être construite celle de la magnifique cathédrale de Châlons, d’autant que Louis XIV s’intéressait vivement à l’œuvre de Sainte-Croix. Il y avait déjà mis son empreinte : le plus beau des portraits connus de Louis XIV est assurément le masque sublime, daté de l’année de la paix de Nimègue, qui forme le centre de la rose du transept. Admirable symbole de la devise : Dieu et le Roi !