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de neige, étendue à terre comme une toison, marquait le dessin des fondations. Le jour de la consécration, une main, sortant des nuages, fit le geste de bénir. Orléans ne se consolait pas de la perte d’une église célébrée par tant de prodiges. Henri IV, devenu roi, résolut de la lui rendre dans sa première gloire. C’était un acte politique d’une très grande portée : en effaçant les traces de l’attentat commis par ses anciens coreligionnaires, il donnait une marque éclatante de sa conversion. Il scellait le pacte qui l’unissait à la religion du plus grand nombre de ses sujets. Le grand pacificateur relevait ainsi les ruines morales faites par les guerres intestines. Il obtint du Pape un jubilé qui fut célébré avec un immense concours de peuple et qui eut pour la France d’alors la valeur d’une sorte de Concordat. L’affaire de la restauration de Sainte-Croix d’Orléans devenait ainsi, à l’égal de l’édit de Nantes, le manifeste de la charte religieuse de la France. Une église qui a eu l’honneur d’être associée à la victoire de Jeanne d’Arc et à la politique nationale de Henri IV, mérite une place à part parmi les monuments illustres de notre histoire. La première pierre fut posée le mercredi saint, 18 avril 1601, par le Roi et la reine, Marie de Médicis, alors enceinte du Dauphin.

On s’empressa aussitôt de relever le « grand corps, » c’est-à-dire la carcasse du vaisseau, comprenant la nef, le chœur et la croisée du transept. Ce travail fut exécuté avec une célérité inouïe : en une vingtaine d’années, tout était terminé. Pour les Orléanais, il ne pouvait s’agir que de restituer leur église telle que les plus vieux d’entre eux l’avaient connue. Ils s’acquittèrent de la tâche avec autant de zèle que de fidélité. J’ai dit qu’il subsistait, après la catastrophe, les deux dernières travées de la nef ; c’est ce modèle qu’on se contenta de reproduire dans toute l’église. La nef de Sainte-Croix n’est donc pas un pastiche du XVIIe siècle, c’est une nef du XVe siècle refaite sous la régence de Marie de Médicis. L’art gothique avait mis longtemps à s’acclimater sur la Loire ; mais, par un phénomène inverse, il s’y conserva mieux qu’ailleurs. Au début du XVIIe siècle, un certain Pierre Levesville, originaire d’Orléans, était appelé dans le Languedoc, pour y voûter les cathédrales d’Auch et de Toulouse. D’ailleurs, ce gothique tardif, tel qu’il se développa après la guerre de Cent ans, est plein de charme ; loin d’être, comme on le dit, un art de décadence, c’est un renouveau et une époque