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deux partis d’accord : la cathédrale d’Orléans, bâtie entièrement à l’époque classique, est une cathédrale gothique, comme celles qui furent construites en France au temps de Louis VII et de saint Louis. Elle porte au centre de ses roses le soleil de Louis XIV. Tous les architectes du grand siècle, les Marlellange et les de Brosse, Hardouin Mansart, de Cotte et le vieux Gabriel, ont pris part à la construction. Un tel fait est bien de nature à mériter l’attention. La cathédrale d’Orléans, bâtie gothique par des classiques, devient la pièce capitale d’un procès qui domine l’histoire du goût. Nous en avons sous les yeux, grâce à M. Chenesseau, tous les éléments. On y suit, à travers deux siècles, les nuances successives par lesquelles a passé en France, de la Renaissance au romantisme, le sentiment du Moyen-âge. En un mot, c’est tout le problème de la tradition gothique, à l’époque de Louis XIV et de Louis XV, qui se pose à l’occasion de ce monument singulier. Mais il faut dire pourquoi tout se passa ainsi. Voici les faits.

Le 24 mars 1568, la cathédrale d’Orléans, à peine debout depuis un demi-siècle (encore y manquait-il la façade et les tours), fut détruite par les Huguenots qui tenaient alors la ville. Sur la croisée des nefs s’élevait, depuis 1511, une immense tour-lanterne, comme celle de Bayeux, qui donnait à sa vaste silhouette cet aspect aigu, pyramidal, qu’affectionnait le XVIe siècle. Rabelais avait consacré à cette flèche une phrase de Pantagruel. Les vandales, excités, dit-on, par Théodore de Bèze, profitèrent de l’absence de leur chef, le prince de Condé, plus sage que ses troupes ; ils minèrent les maîtresses piles qui soutenaient la croisée ; la tour s’abattit d’un seul coup, comme un arbre coupé au pied, et écrasa l’immense édifice dans sa ruine. Il ne resta debout, avec quelques piliers, qui marquaient sur le sol le plan de l’édifice, que deux morceaux situés aux deux extrémités, à égale distance du foyer de l’explosion : le mur du chevet, entourant les chapelles rayonnantes, qui dataient du XIIIe siècle, et deux travées de la nef, construites au XVIe siècle, et qui subsistaient seules, pendantes et ruineuses, comme l’arche d’un pont suspendu sur le vide.

Ce sacrilège fit horreur. La cathédrale d’Orléans était un des sanctuaires fameux de la chrétienté : seule église des Gaules, elle était placée sous le vocable de la croix. Le plan en avait été révélé à saint Euverte d’une manière miraculeuse : une couche