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droit, qui prévoyait cette inertie administrative et qui connaissait ma franchise, m’avait priée de dire mon opinion.

Je demandai donc la parole, et, à la stupéfaction de tous, surtout des délégués élèves, je dis à haute et intelligible voix :

— Si on hésite à donner la suite qu’elle comporte à une plainte aussi légitime, j’en référerai demain au ministre Lounatcharski, au Palais d’hiver, où je suis convoquée, pour l’examen de ma méthode anglo-russe ; c’est lui qui décidera.

L’effet fut immédiat : l’expulsion de l’élève coupable fut prononcée séance tenante. Sans mon intervention, l’autorité était prête à s’incliner devant le jeune soviet.

Si la discipline disparaît des lycées, le respect de l’autorité ne souffre pas moins à l’intérieur de la famille ; des enfants, qui jadis eussent été des mieux élevés, prennent petit à petit les allures les plus grossières.

Voici, à titre d’exemple, un fait raconté à une de mes collègues par une mère désolée.

Sa fille, nouvellement imbue des idées égalitaires et libertaires, lui avait crié sur un ton impératif et brutal : « Marie, passe-moi mes bottes. Et plus vite que ça ! » La mère, stupéfaite, lui demanda si elle était folle ; mais elle, sans se troubler : « Papa t’appelle Marie ; j’ai le droit d’en faire autant ; nous sommes tous égaux. Passe-moi mes bottes, te dis-je. »

Plusieurs cas semblables m’ont été cités par des témoins indignés.

Voilà ce que sont devenus les enfants russes, ceux qui, jadis, grands ou petits, garçons ou filles, donnaient à leurs mères des noms si tendres, si caressants, qu’ils prononçaient avec leur intonation musicale, comme mamotchka (petite mère) ; milenkaïa (chérie) ; douchenka (ma petite âme) ; goloubotchka (petite colombe).

Aujourd’hui : « Marie, passe-moi mes bottes ! »


EMILIE VERNEAUX.