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pour appeler au secours ; notez qu’on était au mois d’octobre, qu’il y avait déjà de la neige et de la glace. On parvint enfin à maîtriser le feu ; mais l’émotion fut si grande parmi les jeunes filles que plusieurs tombèrent malades.

L’incendie avait été allumé par les jeunes vauriens des classes inférieures, gamins de sept à dix ans, le bouquet de l’arestantskaïa rota, qui avait voulu s’offrir le plaisir de rôtir les jeunes filles de la classe supérieure. Ils avaient, pour arriver à leurs fins, forcé les armoires de la lingerie, enlevé une quantité de linge et de vêtements qu’ils avaient mis en tas devant la porte du dortoir, arrosés de pétrole, et allumés comme un feu de joie. Cambriolage et incendie, voilà les amusements de la nouvelle jeunesse des instituts modernisés par les soviets.

Les malheureuses jeunes filles furent forcées d’être en classe à l’heure habituelle, comme si rien ne s’était passé d’extraordinaire. Pendant trois nuits de suite, ni elles, ni les sous-maîtresses n’osèrent se déshabiller, et elles veillèrent à tour de rôle. Le méfait fut immédiatement rapporté à Poletaev, mais ce fut seulement au bout de huit jours que les principaux coupables furent exclus de l’établissement.

Un autre jour, un nouvel incident troubla ma classe. Je venais de m’installer à ma chaire, lorsque la porte s’ouvrit brusquement, et une brique arrachée par un de nos apprentis bolchévistes au carrelage d’un corridor, vola à travers la classe, à quelques pouces de ma tête, dans la direction de la fenêtre. Sans laisser paraître aucune émotion, je me levai, et descendis tranquillement en continuant mon explication sur le participe passé. Les élèves murmuraient d’indignation contre cette brutalité ; je me bornai à leur dire, du ton le plus calme : « Pourquoi vous effrayez-vous, pourquoi vous étonnez-vous ? Vous savez bien que nous sommes maintenant sous le régime bolchéviste : alors, il faut s’attendre à tout. »

Ces jeunes garçons avaient vraiment des allures peu rassurantes : ils portaient tous un petit poignard dans une gaine attachée à leur ceinture. Ils avaient aussi de petits revolvers qu’ils prenaient plaisir à faire partir dans la direction de leurs compagnes et surtout des professeurs ; c’étaient des pétarades continuelles ; il ne manquait que les balles.

Quand ils étaient las de ce genre de vacarme, ils en pratiquaient un autre. Les bâtiments qui composaient l’ancien