Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/676

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dès l’année 1918, le camarade Poletaev, chef de la chancellerie de l’Instruction publique, anciennement professeur d’histoire dans un lycée de garçons, et maintenant communiste acharné, voulut réformer le joli bouquet aristocratique, — c’est ainsi qu’il désignait les jeunes filles de l’institut Saint-Paul, et des instituts Xenia et Catherine II, — pour en faire un bouquet plus plébéien.

A cet effet, il résolut de mêler, dans chaque institut, les enfants de l’aristocratie, garçons et filles, avec les enfants, garçons et filles également, de l’arestantskaïa rota, c’est-à-dire les enfants de malfaiteurs de droit commun, détenus dans les prisons.

En août 1918, le commissaire de l’Instruction publique Lounatcharski m’avait nommée professeur de langue française au lycée, dit École prolétarienne du travail, récemment installé dans l’ancien séminaire Saint-Isidore. Dans une de mes classes, des jeunes filles de la noblesse, de dix-sept à vingt ans, étaient assises sur les mêmes bancs que des jeunes gens de même âge sortis du corps des cadets ou du corps des pages, tous de bonne famille.


LE FEU DE LA NOUVELLE JEUNESSE

Mais, dans les classes inférieures, mélange complet ; le bouquet plébéien dominait et avait une manière toute particulière de manifester ses sentiments bolchévistes : on voyait de jeunes bandits de sept à neuf ans courir dans les corridors, armés de couteaux, brandissant des bûches enflammées et poussant des cris sauvages. Ce n’étaient pas seulement des jeux d’enfants, et le fait suivant montre que ces bolchévistes en herbe ne le cédaient en rien à leurs aînés dans leurs manifestations terroristes.

Un jour, arrivant à neuf heures pour faire ma classe, je fus étonnée de voir aux jeunes filles des figures pâles et tirées, et de constater qu’aucune d’elles ne paraissait suivre la leçon comme de coutume. Je demandai l’explication de ce trouble général, et voici ce qu’une élève me raconta.

Au milieu de la nuit précédente, jeunes filles et sous-maîtresses avaient été brusquement réveillées par une épaisse fumée qui envahissait leur dortoir ; la porte brûlait et les flammes commençaient à gagner. Il leur fallut briser les fenêtres calfeutrées