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pour y loger son vieil ami, Chateaubriand n’a pas même le loisir d’en déterminer l’emplacement. En arrivant à Paris, dans les derniers jours de mai, il trouve M. Le Moine au lit : les incommodités dont le vieillard avait souffert pendant tout l’hiver s’étaient subitement aggravées : il meurt dans le courant du mois de juin. Et le dossier des lettres, soigneusement classées, qu’il avait reçues du grand homme, se termine et se complète par ce simple certificat, épingle sur la dernière liasse : « Je soussigné, reconnais avoir reçu de M. Auguste Le Moine un compte exact de l’emploi fait par M. Le Moine, son père, des sommes qu’il a reçues pour moi en vertu de ma procuration. — Approuvé l’écriture ci-dessus, CHATEAUBRIAND [1]. »

Et puis, quelques jours après, l’ambassadeur s’en va prendre les eaux de Cauterets. Mélancolique ? on aimerait à le croire. Cette année 1829 a été fatale à ses plus vieilles amitiés : au mois de janvier, sa « sœur, » la duchesse de Duras, est morte à Nice, après lui avoir envoyé un dernier et symbolique présent : un laurier grimpant de pleine terre, qui ne craint point l’hiver, un laurier « éternel » comme la gloire, et dont la fleur est rouge, — rouge comme le sang d’un cœur.

Mais, bah ! l’été rayonne, en ce mois de juin, sur Paris : Hortense Allart est arrivée de Rome : René court les guinguettes avec elle ; la marquise de Vichet est, enfin, accourue de son Vivarais : René s’enchante de connaître son inconnue ; elle a cinquante ans, mais elle est encore belle ; à ses pieds il déplore que tous deux se soient rejoints trop tard. Et il goûte cependant la renaissante illusion [2]...

Plus tard seulement, rendu par l’échec définitif de sa politique, aux soucis de la solitude et de l’argent, il reporte sa pensée vers le vieux M. Le Moine, dont le dévouement lui épargna de si nombreux tracas.

C’est au printemps de 1833. Il a connu, en 1831, une situation voisine de la ruine ; il se débat parmi des difficultés financières sans cesse renouvelées ; il n’est plus rien qu’une sorte d’exilé grandiloquent, exilé du pouvoir, exilé de sa propre gloire ; l’incertitude de son sort, l’incertitude plus grande encore du sort de la chère, — de la trop chère ! — Infirmerie,

  1. Paris, le 4 juillet 1829.
  2. Voir : Gabriel Faure, Les Amours de Chateaubriand et de Mme de Vichet. 1921.