Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/666

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est guère bonne, et surtout pour vous embrasser, comme je le fais aujourd’hui de tout mon cœur. »

Peut-on mieux rédiger une abdication en règle ? Et sans doute, en la rédigeant, l’ambitieux mal corrigé pensait au singulier incident survenu à l’une de ses dernières réceptions ; une Anglaise bizarre, un peu magicienne sans doute, ni jeune ni jolie au surplus, lui avait lancé ce mot, « après l’avoir regardé entre les deux yeux : « Monsieur de Chateaubriand, vous êtes bien malheureux ; je vous plains... » Et elle avait aussitôt disparu dans la foule...

Mais le Pape meurt, le frêle et ascétique Léon XII, qui vivait comme un doux anachorète, dans un coin du Vatican, entre son chat et un plat de polenta. Le Pape meurt ; et voilà aussitôt ragaillardi le dolent ambassadeur ; René, qui vient de renoncer à toutes les grandeurs, se réjouit de pouvoir tendre la main vers une grandeur nouvelle. Comme il a eu « sa » guerre, six ans plus tôt, il est sur le point d’avoir « son » Conclave ; il a refait un Roi ; il va « faire un Pape » ; quelle besogne ! Il s’y précipite tout entier.

Au milieu des intrigues et des luttes, il n’a plus le temps d’écrire à M. Le Moine que de brefs billets, mais combien significatifs de son activité !


Rome, 12 février.

« Ma dépêche télégraphique de Lyon vous aura appris la mort de cet excellent Pape, dont j’avais gagné toute la confiance. Me voilà à présent dans les embarras d’un conclave ; mais il sera fini avant Pâques et par conséquent ne m’empêchera pas de vous embrasser à cette époque. J’ai écrit pour vous à M. Roy. »

P.-S… ―

Comment ne pas reproduire ce post-scriptum ? Il est de la plus belle et cérémonieuse écriture d’Hyacinthe Pilorge, et marque bien les égards et l’estime que l’on avait, autour de l’ambassadeur, pour son plus vieux et plus fidèle confident :

« M. de Chateaubriand me permet d’offrir tous mes respects à M. Le Moine, ce que je suis tenté de faire toutes les fois que je ploye une lettre pour lui, et même plus souvent encore, et ce que je n’ose, dans la crainte de l’importuner. Nous ne sommes pas un jour ici sans nous entretenir du meilleur ami que je connaisse à mon excellent patron.