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« Ma femme est souffrante. Moi je suis fort triste et fort dégoûté de mes grandeurs. Ce n’est pas ici que je dois être. J’espère vous servir bientôt. Hyacinthe se rappelle à votre souvenir. A vous pour la vie. »

Comme au début de toutes ses autres ambassades, Chateaubriand sent d’abord l’amertume du dépaysement et la crainte qu’on ne l’oublie à Paris ; ni Rome, ni le soleil n’y peuvent rien ; il s’ennuie. Il l’a confessé dans ses Mémoires : « A mon arrivée dans la ville éternelle, je sens une certaine déplaisance, et je crois un moment que tout est changé... » « Déplaisance... » ce n’est point assez dire ; les lettres rendent le son de l’inquiétude et d’une véritable tristesse :


Rome, ce 21 octobre 1828.

« Votre lettre du 29 septembre, mon vieil ami, m’a fait une grande peine et un grand plaisir. Je regrette autant que vous notre petite solitude de la rue d’Enfer. Aussi, malgré l’excellent accueil qu’on m’a fait ici, j’espère ne pas y demeurer longtemps. J’espère aussi que Martignac tiendra sa parole, quoique je me défie beaucoup des paroles de ministre [1]. Enfin, le pis-aller sera de finir nos jours ensemble à l’Infirmerie, quand je vous aurai fait bâtir au bas du jardin la maison du jardinier. J’aurais bien désiré que vous eussiez placé votre fils, et qu’ensuite vous fussiez venu me chercher avec ma cousine Bonne [2]. Ce serait là la perfection. Je m’ennuie fort, et si bientôt on ne me rappelle, il faudra bien que je me rappelle moi-même. Au reste, il est impossible d’avoir plus de modération, de bienveillance et de douceur que le Gouvernement romain, et il est bien loin de toutes les furibonderies de ces dévots de la Gazette, naguère des espions de police et piliers de thé [3].

  1. Quelle parole ?... On ne voit nulle part, et pas même dans le livre de Villemain, fort au courant cependant des intrigues politiques qui accompagnèrent la formation du ministère, que Chateaubriand soit parti pour Rome avec une promesse ou à une condition quelconque. Il semble donc que la phrase s’applique soit à son correspondant, qui voudrait obtenir une retraite administrative, soit au fils aîné de celui-ci, qui tentait alors d’entrer dans la carrière diplomatique.
  2. La seconde des « bonnes cousines d’Acosta, » la première, Jenny, étant morte en 1823.
  3. Les ordonnances du 16 juin 1828 sur les écoles secondaires ecclésiastiques, et les petits séminaires avaient provoqué en France, parmi certains évêques, et dans les partis d’extrême-droite, une grande effervescence ; quelques exaltés avaient même parlé, après une lettre de protestation publiée par les évêques, d’une rupture menaçante entre le Saint-Siège et le Gouvernement.