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finir le plus tôt possible cette vie errante. Ne manquez pas de nous écrire le plus tôt possible à Rome. Nous y serons du 10 au 14 du mois prochain. Nous avons trouvé ici le joyeux abbé de Bonnevie [1]. »

Un fantôme de plus, ce prêtre au nom duquel tant de mélancoliques souvenirs sont associés, et qui, depuis un quart de siècle, n’en garde pas moins cette appellation homérique : le « joyeux abbé ! » Peut-être est-ce de l’avoir rencontré au seuil des montagnes qui renforce la morosité du voyageur : du haut de leur dernière cime, après avoir passé le Simplon, il aperçoit l’Italie « encore plus décolorée que lors de son voyage à Vérone, en 1822... »

Il ne l’aime point davantage, d’abord qu’il y a posé le pied ; c’est un billet encore désabusé qu’il expédie de Milan, le jour même sans doute que, « de la fenêtre de son auberge, » il se désola de « compter en un quart d’heure dix-sept bossus qui passaient dans la rue, » — dix-sept bossue dont la gibbosité lui parut le symbole de la « déformation » que « la schlague allemande infligeait à la jeune Italie. »


Milan, ce 29 septembre 1828.

« Un mot, mon vieil ami. Nous allons pas mal, surtout ma femme qui engraisse ; mais elle est mortellement inquiète de l’infirmerie et de la sœur Reine. Nous regrettons tous les jours notre hermitage et nos amis. J’ai eu quelques atteintes de mon mal, mais la haute Italie achèvera d’enlever tous ces rhumatismes. J’ai grande envie de savoir où vous en êtes avec le ministre des Finances... »

Enfin, voici Rome, avec l’immensité de sa paix et de ses ruines, et « la croix de Saint-Pierre sur la ville des Césars. »

La première impression n’est point enivrante ; et Chateaubriand ne la dissimule ni à Mme Récamier, ni à M. Le Moine, à qui il écrit aussi par le premier courrier, puisque c’est lui qui continue, comme jadis, de porter à l’Abbaye-aux-Bois les lettres les plus importantes :


Rome, ce 11 octobre 1828.

« Je suis arrivé avant-hier 9, mon vieil ami. Je vous ai écrit plusieurs fois de la route. J’espérais trouver un mot de vous ici : il n’y est pas et cela m’a fait de la peine...

  1. Cette lettre permet de rectifier la date du passage à Lausanne donnée par les Mémoires «... Arrivé à Lausanne le 22... » ; c’est le 21 qu’il faut lire.