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gouvernement de l’Infirmerie Marie-Thérèse à la sainte et maladive sœur Reine ; il laisse ses Mémoires à Mme Récamier, et, comme d’habitude, le soin de toutes ses affaires temporelles à M. Le Moine ; puis tous deux, l’ambassadeur et l’ambassadrice, avec une joie un peu fastueuse, ils partent pour l’Italie, par la Suisse, le 14 septembre 1828.


XIV. — L’AMBASSADE DE ROME

Mais à peine la voiture a-t-elle roulé quelques heures sur cette route deux fois déjà parcourue par lui, — en 1803 et en 1822, — que Chateaubriand aperçoit mille fantômes en train de se lever pour saluer son passage ; dès l’Yonne, c’est le fantôme de Joubert ; puis celui de Pauline de Beaumont, dont les cendres là-bas, — hic jacent cineres... — dorment au terme du voyage dans l’église Saint-Louis des Français ; que va-t-il faire à Rome, sinon s’« entomber » sans doute parmi tant de sépulcres ? Il voudrait retourner ; il courbe le front sous le faix des souvenirs ; il gémit, dans sa première lettre à Juliette Récamier, après lui avoir parlé de Pauline : « Si vous ne me restiez pas, que deviendrais-je ?... » Dans toute sa correspondance, va percer comme l’accent d’un secret désespoir ; et en même temps l’accent d’une tendresse plus affectueuse pour les quelques amis sûrs dont le dévouement est toujours une consolation. Jamais il n’a montré tant de bienveillants égards au vieux M. Le Moine, embarrassé alors de quelques soucis de famille, et désireux de faire liquider sa pension de fonctionnaire par le redoutable ministre des Finances. Il lui écrit de sa première halte importante en Suisse :


Lausanne, dimanche, 21 septembre 1828.

« Me voilà à Lausanne, mon vieil ami. Mme de Chateaubriand â un peu souffert, et souffre encore ; mais au dernier résultat, le voyage lui a fait du bien, et à moi aussi. La grande affaire est maintenant le Simplon : nous le passerons le 25 ou le 26.

« J’ai un extrême désir d’apprendre le résultat de votre visite au ministre des Finances. Je ne serai heureux que quand vous le serez.

« Depuis mon départ (et il y a déjà huit jours) j’ignore absolument la politique. Je m’en vais chercher mes nouvelles destinées sans y prendre le moindre intérêt, et en n’aspirant qu’à