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polie, trop souvent glaciale, de longs silences, une sorte de rêverie ou de distraction apparente au milieu du plus vif intérêt s’agitant autour de lui, c’étaient là comme autant d’obstacles à ce caractère de chef de parti... » [1]. Bref, il laisse entrevoir désormais une espèce de dédain ou de lassitude de l’ambition. Est-ce la faute de la vieillesse dont l’ombre commence d’envahir son chemin ? Est-ce mépris des mille agitations par où il faut acheter un pouvoir trop éphémère ?... Chateaubriand, en tout cas, n’a pas renoncé encore à être ambitieux ; mais il est ambitieux presque à son corps défendant. Il ne se satisferait que de la première place ; et l’on dirait qu’il laisse un peu indolemment au destin le soin de l’y porter. Plus que dans les années précédentes, il se dédouble ; il se regarde vivre : on dirait qu’une source intérieure de poésie, longtemps comprimée, a recommencé de jaillir brusquement en lui, et qu’à certains moments, elle le submerge tout entier...

C’est dans ces dispositions que le surprennent la chute du ministère Villèle où il a pris tant de part, l’avènement du ministère Martignac qui, sans la répugnance peut-être fatale de Charles X, aurait pu être un ministère Chateaubriand ; malgré les supplications, ou les imprécations assourdies de ses amis, il refuse le moindre portefeuille ; et, comme, en 1821, il avait accepté l’exil de Berlin, il se précipite vers l’exil de Rome. Ambassadeur à Rome ! Ces mots le grisèrent dès qu’on les lui prononça : « Je me sentis saisi du désir de fixer mes jours, de l’envie de disparaître (même par calcul de renommée) dans la ville des funérailles, au moment de mon triomphe politique !. . » Sur quoi Villemain observe que ce poète n’est guère sérieux de se plaire à de tels « jeux d’esprit ; » il dogmatise que « la vie publique a des devoirs plus graves et des prévoyances plus laborieuses ; » que « l’ambition du service public, si elle est élevée et sincère, n’a pas de meilleure apologie que sa persévérance et sa ténacité... » A-t-il tellement tort ?

Chateaubriand n’en ferme pas moins sérieusement l’oreille à toutes les récriminations dont ces graves lignes du grave Villemain nous ont transmis l’écho ; il accepte d’être ambassadeur à Rome ; Mme de Chateaubriand n’est pas moins grisée à l’idée de devenir ambassadrice auprès du Pape. Elle laisse le

  1. Villemain, La Tribune moderne : M. de Chateaubriand. Paris, 1858, pp. 438 et suivantes.