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elle ; ou plus exactement, à ce qu’il parait, c’est elle qui l’a faite avec lui. Les années orageuses sont closes : cette femme que l’on a crue longtemps indifférente sinon à la gloire, au moins à la tendresse de son mari, et qui l’a aimé aussi passionnément qu’aucune de ses amantes, vient de subir une crise de deux années ; elle a voulu s’évader, fuir un prestige qu’elle redoutait en y cédant sans cesse ; elle a souhaité la mort, qu’elle a crue proche. Mais la voilà rentrée au foyer, résignée à son sort, sinon réconciliée avec lui. Et ce foyer est transporté auprès de l’Infirmerie Marie-Thérèse, de l’œuvre à laquelle elle a demandé la diversion nécessaire à ses secrets chagrins. Est-ce à dire qu’elle ne boudera plus, qu’elle ne grognera plus, qu’elle n’entrera plus « dans ses grandes fureurs, » qu’elle ne fera plus à son grand homme de ces scènes qui le font penser aux caprices, parfois redoutables, de la mer armoricaine ? Il ne peut exiger qu’elle renonce subitement aux vivacités d’un caractère impétueux ; mais tous deux paraissent avoir conclu leur traité de paix, sur le principe de concessions mutuelles. Elle sera grande maîtresse, et surintendante à peu près absolue dans leur intérieur et à « Marie-Thérèse ; » lui, il ira, comme il l’entendra, et bientôt chaque jour, présider dans le salon de Mme Récamier, et parler d’amitié et de politique dans le boudoir de Mme de Duras...

Lui aussi, d’ailleurs, le grand homme, il a perdu, à partir de ces années-là un peu de sa fougue apparente et de son impétuosité. Dans l’été de 1826, quand il rentre à Paris, il est au sommet de sa double gloire : la littéraire et la politique. Ecrivain, il se voit salué avec admiration dans son œuvre complète ; homme d’Etat, il est reconnu par tous comme le plus grand nom de l’opposition. Ainsi qu’il s’en vante dans ses Mémoires, il est « devenu, à l’intérieur, le dominateur avoué de l’opinion. » Chef moral de l’opposition qui va hâter la chute du ministère Villèle, il peut, s’il le veut, en devenir le chef actif et effectif. Le veut-il ? Il semble qu’il ne le sache pas trop lui-même... Il donne, en tout cas, à ses amis, l’impression, plus ou moins nette, qu’il ne le veut pas. L’un des plus dévoués, Villemain, l’a justement noté : « Sa retraite dans un lointain quartier de Paris, sa maison et son jardin abrités par une infirmerie pour de vieux prêtres, furent bientôt isolés. Il était un drapeau plutôt qu’un chef... De près, il attirait peu. Une habitude de fierté