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de l’époque, et si nous ne nous rendions compte du bouleversement qu’apportait dans le monde musical l’œuvre de Wagner. Pendant les répétitions de Tannhaüser à l’opéra, Berlioz écrivait à son fils : « Wagner fait tourner en chèvres les chanteuses, les chanteurs et l’orchestre… La dernière répétition a été atroce… Liszt va arriver pour soutenir l’école du charivari… Il y a des instants où la colère me suffoque. Wagner est évidemment fou… » Et après la première qui fut orageuse : « les horreurs, on les a sifflées splendidement. » Si Berlioz, musicien d’avant-garde, juge ainsi Wagner, comment le juge le public de la Revue ? Moins sévèrement peut-être : les confrères entre eux, ne sont guère justes. On connaît le mot de Rossini sur Berlioz : « Quel bonheur que ce garçon-là ne sache pas la musique, il en ferait de bien mauvaise[1] ! »

Dans ce même numéro du 15 avril 1869 on lit un article de Blaze de Bury sur Hector Berlioz. Berlioz était mort depuis deux ans et Blaze de Bury, qui l’avait connu et autrefois discuté, lui rend pleine justice ; il rapproche justement ce musicien de Wagner, mais sans le comparer à lui : « Vit-on jamais théories plus opposées que celles de ces deux musiciens de l’avenir également supérieurs, également possédés du démon de l’initiative, et dont l’un pose en triomphateur, tandis que l’autre passe encore aux yeux du plus grand nombre, pour un enfant perdu du romantisme… » Blaze de Bury reconnaissait bien en Wagner le musicien de l’avenir ; mais Blaze de Bury était le critique musical, non pas l’abonné de la Revue et c’est en pensant à cet abonné que François Buloz s’inquiétait.

Une longue et solide amitié unit Blaze de Bury à Montégut. Si sa famille n’avait pas exigé de la fille aînée d’Henri Blaze la destruction de la fin des Souvenirs de son père, nous eussions eu un charmant portrait de Montégut à côté de ceux de Musset, de Planche, de Sand, et de Meyerbeer. Mais nous ne saurons plus rien des Souvenirs de Blaze à l’époque plus récente de Montégut.

Retiré par force à la campagne auprès d’une femme sans cesse malade, Montégut menait en 1888 la vie la plus paisible du monde. Si on l’eût consulté alors, n’eût-il pas regretté sa liberté perdue, et le temps où il courait après quinze francs ?

  1. Boschot, Une vie romantique : Hector Berlioz, p. 349.