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Voici le paragraphe qu’Émile Montégut ajouta après la lettre de François Buloz : « … La plus étrange des opinions littéraires de Béranger est celle qu’il exprime au courant de la plume sur André Chénier ; il attribue à M. Henri de Latouche, grand faiseur de pastiches et homme d’esprit, la plus grande partie des poésies d’André Chénier. Quand on avance de telles opinions, il faut avoir soin de les prouver. Les fragments d’André ont pu paraître en effet très incomplets, très inachevés au classique Marie-Joseph, mauvais juge en matière aussi délicate, et dont le propos assez vague rapporté par Béranger ne prouve rien du tout. M. de Latouche avait, il est vrai, la rage du pastiche et de la supercherie littéraire, mais il n’était pas homme à laisser à un autre la gloire qu’il pouvait retirer de ses propres compositions, et il était bien plus disposé à confisquer à son profit quand il le pouvait les idées et le talent d’autrui. On sait d’ailleurs ce dont était capable l’auteur de Fragoletta ; nous ignorons si les derniers vers attribués à Chénier sont bien réellement de M. Henri de Latouche, mais ce dont on peut être sûr, c’est que cet homme d’esprit n’a jamais été capable de produire Le Malade, l’Aveugle ou l’admirable fragment intitulé Neère[1]. »

J’ai dit qu’Émile Montégut traversa souvent des crises de découragement : il avait bien des sujets de plainte, car il fournissait une somme de travail énorme et le fruit de son travail était le plus souvent escompté pour le paiement de pauvres dettes. Voici une lettre écrite en pleine révolte contre cette situation inextricable :


« Mon cher monsieur,

Nous voilà au commencement d’un mois, et j’en profite pour vous écrire afin que nous ayons une dernière entrevue qui nous permette d’arranger quelque chose qui ait enfin une base et le sens commun. En même temps que je vous écris, j’écris à ma famille ; si les uns et les autres vous refusez de comprendre, mon parti est bien pris, je renonce atout : j’aime mieux devenir ce qu’il plaira au diable, que de continuer cette vie-là surtout celle que je mène depuis un mois. J’ai assez de tout sauf d’argent dont je n’ai pas l’ombre. Je suis fatigué de travailler perpétuellement,

  1. Émile Montégut : Un dernier mot sur Béranger, Revue des Deux Mondes, 1er janvier 1858.