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épreuves, signale à l’auteur une hérésie de Béranger qu’il désirait voir relever. On lit en effet dans la Biographie ceci : « À peu près au temps de mes débuts, Henri de la Touche me fit plusieurs fois de judicieuses observations qui m’ont rendu grand service. Aussi suis-je souvent retourné à ce vrai poète, grand faiseur de pastiches. Je l’ai souvent appelé l’inventeur d’André Chénier dans les œuvres duquel il est au moins pour moitié ; car j’ai entendu Marie-Joseph déplorer qu’il y eût si peu de morceaux publiables dans les manuscrits laissés par son frère. Ce qu’il y a de singulier, c’est que les vers placés à la fin du volume et que le geôlier est censé interrompre n’aient pas ouvert les yeux des juges de sang-froid. Tout le monde sait pourtant aujourd’hui que ces vers sont de la Touche[1]. »

François Buloz qui eut, avec toute sa famille, le culte d’André Chénier, ne put en entendre davantage, et écrivit un soir à son chroniqueur :


« Mon cher Montégut,

Votre article est très bien ; cependant j’y voudrais un paragraphe de plus sur le singulier jugement que porte Béranger, page 193, à propos de Latouche inventeur d’André Chénier. Béranger ne va-t-il pas jusqu’à invoquer un souvenir de Marie-Joseph Chénier, pour amoindrir André et faire valoir Latouche ? Nous avons tous connu Latouche, et nous savons ce qu’il était capable de faire.

Il me semble que ceci devrait être relevé comme indice de la vulgarité dans le jugement.

Vous dites dans votre article que Béranger ne dit pas un mot de M. Guizot ; voyez la page 196 : c’est peu de chose, il est vrai, mais il le nomme. Je n’ai lu encore cette Biographie que jusqu’à la page 202 ; que Béranger ne nomme pas Cousin qui faisait profession d’être son ami, de le voir très souvent, c’est grave, cela mériterait une réflexion. Pour moi, c’est encore une preuve que Béranger n’avait pas d’élévation dans l’esprit, car il était attiré par des hommes qui ne valent pas Cousin, malgré tous les reproches qu’on peut faire à celui-ci et vous savez que je ne suis pas aveugle, à l’endroit de ce mobile, mais grand esprit.

Voyez tout cela[2]… »

  1. Ma biographie. Béranger, p. 194.
  2. Sans date. Sans doute fin décembre 1857.