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courage à travers la bonne et la mauvaise fortune. Sur cette voie-là un homme transforme véritablement le misérable métier que vous et moi exerçons.

« Le livre sur Frédéric dont je m’étais débarrassé depuis juin dernier, va justement paraître ces jours-ci. Je le considère comme un médiocre, insignifiant, et pour tout dire mauvais livre, quoique représentant la meilleure réplique sur ce sujet qui soit sortie de mes pauvres mains, mais rien n’est plus évident que le dégoût qu’il a donné, donne, et donnera à son infortuné auteur… Adieu à ce livre et pour toujours ! si j’avais seulement terminé ces deux derniers volumes, et pouvais oublier cette affaire jusqu’au jour du jugement ! »

En 1857 parut la Biographie de Béranger ; l’occasion était belle pour Montégut, il ne négligea pas de la saisir, et consacra au « dieu des bonnes gens » un article. C’est une charmante étude, ce Dernier mot sur Béranger. Le portrait politique du bonhomme y est divertissant. Émile Montégut a soin de faire remarquer que si les opinions de Béranger sont parfois incertaines, c’est que ce fils d’une mère royaliste fut élevé par une tante républicaine, confié ensuite à un disciple de Jean-Jacques, enfin à une grand mère qui, tout en admirant et en citant Voltaire à tout propos, aspergeait volontiers sa maison d’eau bénite les jours d’orage, et faisait passer le petit Béranger sous le Saint-Sacrement à la Fête-Dieu.

On n’aimait guère Béranger à la Revue ; François Buloz estimait peu le caractère de l’homme, qu’il jugeait vulgaire et, sous une apparence de bonhomie, avide de gloire et d’honneurs. Sainte-Beuve en voulait à Béranger depuis Volupté, où Béranger voulut découvrir son propre portrait et quelques traits offensants ; puis l’article de Sainte-Beuve sur Ballanche devint un autre prétexte à divergences[1] entre eux. Sainte-Beuve, pour cause, ne parla pas de la Biographie dans la Revue et n’écrivit à la mort du chansonnier qu’un article nécrologique assez fade dans un quotidien[2]. À la Revue, Montégut fut donc chargé de l’article. François Buloz, après l’avoir lu en

  1. Voyez dans les Portraits contemporains les lettres de Sainte-Beuve à Béranger à propos de ces deux affaires. Sainte-Beuve avait écrit en 1832 un article fort élogieux dans la Revue sur Béranger. On remarquera les restrictions qu’il fait à cet article quelques années plus tard.
  2. Le Moniteur.