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à Mme François Buloz, dans lesquelles il aimait à se plaindre de la santé de sa femme, de la sienne, du beau temps, qui amenait la fâcheuse sécheresse, ou des pluies qui saccageaient les récoltes (car Émile Montégut était devenu un très modeste gentleman farmer) ; bref dans cette vie régulière, Montégut avait compté sans l’isolement, la mauvaise santé, et, disons le mot, le morne ennui.

Je ne sais si ce fut de Baudelaire qu’il tint son amour pour les chats. Chez Montégut cet amour prit la forme d’une véritable passion. Il les observa avec son ardente curiosité, sut deviner leur délicate réserve ; leur susceptibilité le charmait, leur grâce flattait son goût d’harmonie et de beauté. Son imagination se plaisait à découvrir en eux les réincarnations fabuleuses de somptueux rois ou de princesses asiatiques, expiant sous la forme des petits félins qu’il aimait, quelques lointaines cruautés commises au temps de leur vie humaine. Il disait volontiers avec le poète des Fleurs du Mal, parlant du chat : « Peut-être est-il fée, peut-être est-il Dieu ! » et s’exaltait. Son éloquence frémissante pouvait divertir ses auditeurs ; lui, ne songeait guère à plaisanter, poursuivant les images de ses légendes hypothétiques.

Lorsque, — très rarement après son mariage, — Montégut venait à Paris, il surgissait avec sa femme chez Mme François Buloz, flanqué d’une jeune pastoure qui portait au bras un vaste panier à provisions en osier. Sous le couvercle les chats étaient tapis. À l’une de ses chattes, Émile Montégut trouvait « un balancement de jeune Quarteronne ; » il disait : « elle a le baiser humain, » et l’on a longtemps conservé dans ma famille, le billet de faire part que M. et Mme Émile Montégut envoyèrent à leurs amis « pour leur annoncer la mort de leur chatte Zizi. »

En 1848, Montégut était « plus ou moins brouillé avec son père, » puis ils se rapatrièrent à la fin de l’année. C’est alors que le père déclara au fils sa gêne croissante, lui avoua que ses affaires étaient fort embrouillées, sa fortune compromise, par les événements de février, bref, il fit voir « clair comme le jour » à Émile qu’il ne pourrait plus lui donner d’argent, et qu’il eût à se tirer d’affaire seul : « Il me l’avait déjà écrit à Paris, confie Émile Montégut à M. de Mars, je n’en avais rien voulu croire, il fallut bien croire en voyant ; je suis très coupable envers lui : pendant les quatre années que