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Montégut, et se fût attachée à son nom. Comment voudrait-on que le grand public l’ait goûté[1] ?… »

Avec son corps maigre flottant dans des vêtements trop larges, sa tête au crâne dégagé singulièrement piriforme, son nez busqué, sa barbe rare, ses yeux un peu voilés de rêveur, certes Montégut n’eut aucun caractère de séduction physique, et ce fut au charme incontestable de son esprit, à son enthousiasme lyrique, à son goût très vif pour les idées, qu’il dut les relations les plus précieuses de sa vie modeste, et, en somme, peu fortunée. Perpétuellement en mal d’argent, surtout au temps de sa jeunesse, Montégut en souffrit plus qu’aucun autre. Une dette de 250 francs le désolait. Élevé dans l’aisance, — sa famille originaire du Limousin était fortunée et de bonne bourgeoisie[2], — il dut à vingt-trois ans se suffire à lui-même, l’industrie de son père ne prospérant plus, loin de là. Celui-ci forma alors pour son fils certains projets, et le jeune homme dut suivre même, pour les satisfaire, des cours de droit. Mais il les suivit avec mollesse et se fit résolument refuser aux examens de fin d’année. Ce fils rebelle ne s’intéressant décidément qu’aux lettres, le père, en fin de compte, se résigna, et le laissa ramer dans la galère qu’il s’était choisie.

Donc, sa situation modeste, étroite même, pesa plus d’une fois à Montégut ; il fut, au fond, un épicurien, un raffiné, que la gêne et ses laideurs choquaient ; il était né pour vivre richement, faire de beaux voyages, et goûter de bons vins. Il est bien vrai pourtant, qu’il n’eut rien d’un matérialiste, qu’il combattit constamment « ses faiblesses » et essaya de considérer de haut ses misères. Il faut en louer la qualité de son esprit : « Pour l’homme de talent, a-t-il dit, la pauvreté n’est un mal réel que lorsqu’elle est de nature à l’exposer aux commentaires des sots, mais autrement, ce n’est qu’un accident d’ordre vulgaire. La pauvreté est une véritable bienfaitrice, lorsqu’elle contraint celui qu’elle éprouve à montrer toute sa délicatesse morale[3]. Fort bien ; pourtant « il faut vivre, » lui a-t-on répondu. Mais Montégut n’admet aucune profession qui absorbe et enrégimente ;

  1. A. Laborde Milaâ, Un essayiste, Émile Montégut.
  2. La grand mère d’Émile Montégut fut guillotinée pendant la Révolution « pour « pinions contre-révolutionnaires. » V. aussi l’Ascendance paternelle d’Émile Montégut, par H. Hugon (Limoges, 1918).
  3. Émile Montégut, Nos morts contemporains, p. 338.