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Molènes ne révèle pas le titre de sa nouvelle ; mais cet accident arrivé à la princesse Belgiojoso, c’est la tentative d’assassinat commise sur sa personne par un domestique italien lors de son séjour en Asie-Mineure en 1852. Elle reçut en effet de cet excellent compatriote sept coups de poignard, qui mirent la vie de Cristina en danger et dont elle se rétablit, du reste, avec son bel entrain ordinaire. La nouvelle qu’annonce Paul de Molènes c’est : La bonne fortune de Ben Afroun. Molènes y attaquait-il la Princesse ? Il semble s’en défendre, et soutenir qu’il n’a pas tracé de portrait : tous les auteurs des romans à clef en sont là — tous avec la même mauvaise foi, d’ailleurs, — et pour les contemporains, le mystère de cette esquisse dut être facile à déchiffrer. Quoique l’auteur eût transformé la Princesse italienne en Lady anglaise, et que Cristina fût devenue Thécla, les allusions, les portraits, sont transparents et… sévères. Pour fixer plus sûrement les lecteurs, le personnage de Ben Afroun, qui dupe si adroitement l’orgueilleuse dame, n’est autre que ce Bou Maza, « lion du désert, dit Charles Conselet, tenu en laisse par le capitaine Richard’s, » qui fréquentait jadis le salon de la Belle Joyeuse à Paris.

Molènes fut-il parmi les victimes de la belle conspiratrice ? On le croirait à voir la dureté avec laquelle il lui lance des traits dans le genre de ceux-ci : « Chez elle, l’incendie avait commencé par le cerveau, si on peut appeler incendie la flamme mystérieuse qui dévore cette froide nature sans l’échauffer. » la froideur de la dame le hante : « sa nature froidement désordonnée et systématiquement capricieuse… » Plus loin, faisant allusion au goût de son héroïne pour les hommes célèbres : « Elle ne rencontrait jamais un lion sans lui offrir une cage. » Décrivant le visage de Christina dont la pâleur était l’originalité la plus remarquable, il ne peut se retenir de noter : « Ge beau visage où se montrait la pâleur des incurables ennuis. » Mais ici il se trompe : la Belgiojoso, affectée d’un incurable ennui ? Elle n’en eut pas le temps.

Paul de Molènes, qui écrivait : « Je ne suis pas assez jeune pour laisser perdre une seule occasion de guerre, » commençait à s’inquiéter des événements de Grimée ; il n’eut garde de manquer au siège de Sébastopol, et il écrivit de là à son directeur : « Un des meilleurs résultats de cette guerre sera l’abaissement, non point des Russes, mais des Anglais. Nous avons vu