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la Revue où se dessinent tant de silhouettes plus ou moins pittoresques, j’en vois une qui passe à cheval avec un grand sabre, un don Quichotte doublé du Montluc des Mémoires… Il écrivait de beaux articles et des légendes mondaines en prose poétique, et la nuit faisait la veillée des armes aux pieds de quelque illustre douairière du faubourg Saint-Germain qui l’appelait son Amadis… »

Paul de Molènes, qui s’écriait : « Hélas ! ne pouvoir même pas conquérir la principauté de Trébizonde ! »[1] s’engagea en 1848 dans la garde mobile, et fut nommé capitaine par ses hommes. Pendant les journées de juin, il fut grièvement blessé rue Saint-Jacques à l’attaque d’une barricade, puis passa de longues semaines à l’hôpital, où il s’éprit de son infirmière Mlle de Bray, qu’il épousa, d’ailleurs, par la suite.

Ayant goûté à la carrière militaire, il désira y demeurer ; il dut rendre alors un grade qu’il avait pourtant chèrement acheté, et s’engagea dans les Spahis. « Dès lors écrivant et se battant, il mena la vie de plume et d’épée qui lui était chère »[2]. : L’Afrique l’enchanta, il fut aussi aux guerres de Crimée et d’Italie ; par malheur cet officier de cavalerie, médiocre cavalier, mourut à Limoges, dans un manège, d’une chute de cheval. Je possède quelques-unes des lettres de Paul de Molènes à François Buloz ; l’écriture en est large, inégale, les lignes grimpent vers le haut des pages, « signe d’optimisme » affirmerait M. Paul Bourget. Le ton général de cette correspondance est celui de l’abandon ; on y sent une grande confiance et une libre camaraderie. Cependant la plus ancienne des lettres marque une rébellion ouverte contre le directeur de la Revue. Il s’agit d’un article que Molènes désire écrire sur Phèdre et sur Rachel. François Buloz se méfie-t-il de son critique ? Celui-ci est fort combatif, bientôt il attaquera Balzac avec violence[3]. Mais Balzac saura rendre piqûres pour piqûres. La douce Valmore aussi fut prise à partie par Paul de Molènes dans la Revue en 1842, et avec elle Mme Amable Tastu, Mlle de Girardin, Louise Colet… (Don Quichotte n’est pas féministe). Sainte-Beuve releva la mercuriale et la réplique de Marceline dans une lettre à

  1. Maxime Du Camp : Souvenirs.
  2. Ibid.
  3. P. de Molènes : M. de Balzac, La Comédie humaine, dans la Revue du 1er novembre 1842.