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si j’ai péché, j’ai expié ce jour-là bien des fautes. Je crois volontiers à l’utilité des souffrances pour notre salut. Si mes idées sur le duel et l’adultère sont coupables, j’espère que quelques os cassés me les feront pardonner ; nos douteurs sont nos patenôtres…[1] »

Ces mots, qui sortent de la bouche de Plenho, c’est Molènes qui les prononce ; Pleho incarne l’officier d’Afrique, type du soldat français dont la bravoure est audacieuse et spirituelle, mais qui garde au fond de lui-même le respect de toutes les traditions de sa race, et une foi d’enfant de chœur. C’est un officier qui servira plus tard de modèle à ceux du charmant Gustave Droz : rouge et or, chevaleresque, galant, aimant sa patrie, la guerre, le plaisir, l’aventure, et se révélant, le jour venu, bon époux et bon père, voire marguillier de sa paroisse.

Paul de Molènes, agréable écrivain de son temps, fut, au demeurant, un romantique attardé sous l’Empire ; il eut l’entrain de ses aînés, leur foi enthousiaste, parfois l’écho de leur accent frondeur ; on retrouverait bien encore chez lui, par ci par là quelque peu de leur découragement. Dans un de ses récits, son héros (c’est lui-même) confesse une tentative de suicide semblable à celle qu’ébaucha l’officier anglais dont par le Lord Byron dans ses mémoires ; néanmoins la mélancolie, la méditation et la rêverie, ne furent pas le fait de Paul de Molènes, et il eut beau dire : « J’ai souffert de l’affreux doute particulier à ce temps où il n’est pas un seul mot noble, entraînant, sacré, qui n’ait servi à quelque mensonge, » notre écrivain fut un soldat et non pas un Werther : les deux rôles ne peuvent se tenir concurremment ; il le note d’ailleurs, en vantant l’état qu’il a choisi : « La vie militaire a d’abord à mes yeux cette inestimable vertu qu’elle porte une mortelle atteinte à tout ce que j’appellerai « la partie efféminée de nos douleurs. » Il n’est pas de rêverie dont l’action n’ait raison quand elle s’empare de nous d’une certaine manière, aussi je défie bien tous les René, tous les Werther, tous les Obermann, de poursuivre leurs langoureuses amours avec les chimères, derrière dix tambours qui battent la charge. » Voilà en quelques mots Paul de Molènes.

Henri Blaze de Bury esquisse rapidement, dans ses Souvenirs, la figure de cet écrivain soldat : « Sur ce fond mouvant de

  1. Scènes de la Vie du Bordj.