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exaltation cérébrale qui décuplait les forces de son imagination. Si étrange que soit le Dieu auquel on croit, la foi sincère ne va jamais sans un sursum corda, sans une élévation de l’âme, sans un paroxysme d’élan vers un idéal, chimérique ou non, mais qui toujours est une singulière force poétique. Cette force, Victor Hugo l’a eue, grâce à sa croyance au spiritisme, au suprême degré. Non seulement pour qui connaît les dogmes de sa croyance, tout devient clair dans ce qu’on est convenu d’appeler et dans ce qu’il appelait lui-même ses apocalypses, mais Victor Hugo nous fait participer à ses affres, l’Esprit nous emporte avec lui sur ses ailes, et nous donne l’impression sans doute illusoire, mais l’impression terrifiante de planer au-dessus de gouffres infinis et mystérieux. Vraiment nous perdons conscience avec lui, et nous y prenons plaisir. Le spiritisme fut pour Victor Hugo l’alérion qui emporta sa pensée et qui fit de lui ce Jason de l’azur et du mystère dont il parle dans Plein Ciel :


Un Jason de l’azur, depuis longtemps parti,
De la terre oublié, par le ciel englouti.
Tout à coup sur l’humaine rive
Reparaîtra, monté sur cet alérion,
Et, montrant Sirius, Allioth, Orion,
Tout pâle, dira : J’en arrive !


Singulière fortune ! Victor Hugo spirite, seul parmi les écrivains, a traduit littérairement l’épouvante des voix d’outre-tombe ; il a dépouillé la parole des Esprits de toutes les bizarreries, de toutes les bassesses et de tous les non-sens dont elle est souvent encombrée, il en a dégagé une noble et riche matière poétique, et seul parmi les écrivains spirites, il est renié par les adeptes du spiritisme. Tant il est vrai que le spiritisme chez lui procéda moins des faits que d’un état cérébral, que sa croyance naquit et vécut d’une exaltation de son « moi » et que, dans le domaine des Esprits comme dans bien d’autres, consciemment ou inconsciemment, Victor Hugo n’avait vu que lui-même.


PAUL BERRET.