Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/585

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hugo : le temple, malgré la majesté de prophète du néophyte, ne s’est point ouvert à lui.


Nam cui crediderim Superos arcana daturos
Dicturosque magis quam sancto vera Catoni ?


Cependant, pour Victor Hugo, le sanctuaire est resté muet : le seul esprit qui soit venu dans les tables est celui de Victor Hugo lui-même. Sa croyance a été naïve, et les spirites lui gardent rancune du mauvais tour qu’il leur a joué. Mais en revanche son génie a reçu des tables un agrandissement inattendu. Toutes les prédispositions nerveuses de Victor Hugo à la terreur, parce qu’il les a crues d’origine supra-terrestre, ont ébranlé sa lyre d’un frémissement apocalyptique.

Une singulière confusion s’est faite dans son imagination entre la voix des prophètes et celle des Esprits. Comme il le dit lui-même, il s’est cru emporté par le souffle qui soulevait Elisée :


L’Esprit fait ce qu’il veut. Je sens le souffle énorme
Que sentit Elisée et qui le souleva
Et j’entends dans l’abîme quelqu’un qui me dit : Va.


Toutes ses théories philosophiques, à ce souffle, se sont dramatisées. Il a cru voir vraiment s’ouvrir la porte des arcanes de l’univers et, s’il n’y a pas lu le chiffre du mystère, du moins nous a-t-il donné le frisson de l’épouvante. Il y a autre chose dans la Bouche d’Ombre et dans le Satyre qu’un verbalisme grandiloquent. Il y a vraiment la sensation de l’abîme : ce n’est pas seulement avec de la rhétorique, si habile qu’elle soit, qu’on peut donner à son lecteur l’émotion de la stupeur et du transissement devant l’inconnu :


Effudit dignas adytis e pectore voces


Parce qu’il a éprouvé sincèrement, devant le trépied de Guernesey, la sainte angoisse du croyant devant l’oracle, et qu’il avait la faculté de traduire puissamment par son verbe toutes les sensations dont il était lui-même ébranlé, il a jeté dans ses strophes un tel accent d’effroi que la contagion du vertige fait vaciller le cerveau du lecteur et que le tremblement des cordes de la lyre du poète se communique à notre pensée qui s’effare. Il n’était pas de ceux qui rient devant les convulsions de la sibylle : il y participait intellectuellement dans une