Une semblable apparition flotte au début de la pièce A celle qui est voilée (janvier 1855) :
Tu me parles au fond d’un rêve
Comme une âme parle aux vivants,
Comme l’écume de la grève
Ta robe flotte dans les vents…
Sors du nuage, ombre charmante,
Ô fantôme, laisse-toi voir !…
Du bord des sinistres ravins
Du rêve et de la vision,
J’entrevois les formes divines… —
Complète l’apparition !
Il arrive au poète d’aller au-devant des esprits aux lieux où
ils fréquentent, près des menhirs et des dolmens, et c’est de là
qu’il date plusieurs de ses pièces :
Un spectre m’attendait dans un grand angle d’ombre
Et m’a dit : Le muet habite dans le sombre…
Ne sens-tu pas souffler le vent mystérieux ?
Au Dolmen de Rozel, 17 avril 1854.
Comme le dolmen de Rozel, le dolmen de Corbière a son démon, et Victor Hugo nous transcrit ses propos dans la pièce : Hélas ! tout est sépulcre…
Une nuit, un esprit me parla dans un rêve
Et me dit…
Sous l’influence des incitations de l’au-delà il arrive au
croyant d’exalter sa foi jusqu’à protester de toute la hauteur de
son dédain contre les railleries des incrédules :
Tout est l’ombre. Pareille au reflet d’une lampe,
Au fond, une lueur imperceptible rampe ;
C’est à peine un coin blanc, pas même une rougeur.
Un seul homme debout, qu’ils nomment le songeur,
Regarde la clarté du haut de la colline ;
Et tout, hormis le coq à la voix sibylline.
Raille et nie ; et, passants confus, marcheurs nombreux,
Toute la foule éclate en rires ténébreux
Quand ce vivant, qui n’a d’autre signe lui-même
Parmi tous ces fronts noirs que d’être le front blême,
Dit en montrant ce point vague et lointain qui luit :
Cette blancheur est plus que toute cette nuit !
Contemplations, XXI, Spes.
(Janvier 1856.)