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Au cours de la composition de la Légende des Siècles, Victor Hugo a déclaré dans une note qui accompagne le manuscrit du Lion d’Androclès qu’il avait écarté de son inspiration l’influence des tables parlantes.

« Continuation d’un phénomène étrange, auquel j’ai assisté plusieurs fois, c’est le phénomène du trépied antique. Une table à trois pieds dicte des vers par des frappements, et des strophes sortent de l’ombre. Il va sans dire que je n’ai jamais mêlé à mes vers un seul de ces vers venus du mystère ; je les ai toujours religieusement laissés à l’inconnu qui en est l’unique auteur ; je n’en ai même pas admis le reflet, j’en ai écarté jusqu’à l’influence. Le travail du cerveau humain doit rester à part et ne rien emprunter aux phénomènes. Les manifestations extérieures de l’Invisible sont un fait et les créations intérieures de la pensée en sont un autre. La muraille qui sépare les deux faits doit être maintenue dans l’intérêt de l’observation et de la science. On ne doit lui faire aucune brèche, et un emprunt serait une brèche. A côté de la science qui le défend, on sent aussi la religion, la grande, la vraie, l’obscure et la certaine, qui l’interdit. C’est donc, je le répète, autant par conscience religieuse que par conscience littéraire, par respect pour le phénomène même, que je m’en suis isolé, ayant pour loi de n’admettre aucun mélange dans mon inspiration, et voulant maintenir mon œuvre telle qu’elle est, absolument mienne et personnelle. »

Faut-il ajouter foi à cette déclaration ? Sans aucun doute, Victor Hugo n’a inséré, dans aucun de ses ouvrages, des poèmes ou des fragments de poèmes dictés par les tables. Leur ensemble constitue deux volumes qui n’ont jamais été publiés. Est-ce à dire qu’il a pu entièrement se dépouiller de l’état d’esprit, où il était entré en devenant un adepte fervent du spiritisme ?

Tout d’abord sa philosophie, sans le spiritisme, ne serait pas telle qu’elle apparaît à partir de 1853. La théosophie kardéciste ne s’est imposée à lui comme un credo que du jour où il se l’est nettement formulée par l’intermédiaire des esprits. Le jour où il a cru à la présence dans les tables de l’Anesse de Balaam, ou du Crapaud, le jour où Mme Hugo, moins crédule, s’est étonnée que les tables pussent donner une âme aux cailloux et aux bêtes,