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« Ce que tu nous dis est au pluriel. Nous pouvons arranger les choses ainsi : -


Qui, sans perdre son cœur et sans brûler son âme,
A frôlé le satin d’une robe de femme.


« Le veux-tu ? — Non ! — Alors, dis ! »

André Chénier ne se montre qu’à moitié docile, il propose :


Qui sans perdre son cœur et sans brûler son âme
A frôlé le satin de ta mantille, ô femme !


Victor Hugo insiste : « J’aime autant ma manière. — Non ! — Tu aimes mieux ta manière ? — Oui ! — C’est que tu as encore dans la suite des vers la même apostrophe : O femme ! Veux-tu prendre ma manière. — Non ! »

C’est catégorique : Hugo, bon enfant, ne se décourage pas et poursuit l’interrogatoire.

« Après :


Je t’appartiens amour, amour inexorable...


il continue.


— Conduis-moi chez Camille et dis-lui que je suis
L’esclave de ses jours conquis pendant ses nuits,
Dis-lui que tout en moi par sa bouche respire
Et qu’étant une fleur elle m’a pour Zéphire. !
Oh ! qu’on souffre d’aimer ! Oh ! quels cruels tourments !
Pour un moment heureux, combien d’autres moments !
Où l’âme pleure et tombe et, pauvre feuille morte
Obéissant au vent qui l’arrache et l’emporte,
Erre et tremble et palpite et songe au doux banquet
Où Camille l’avait mêlée à son bouquet
Sage vieillesse, viens ! je t’implore et t’appelle ;
Tu souris à l’amour comme le toit à l’aile.
Sous ta chaste couronne on chemine à pas lents,
Toujours la plume blanche aime les cheveux blancs.
L’amour pour le vieillard prend sa plus douce voix ;
L’âge est un innocent qui vide les carquois,
Et les tremblantes mains prennent aux mains naïves ;
De l’amour ces traits d’or que nos âmes plaintives
Gardent toute la vie et qui durent toujours.
L’épine reste au cœur, l’épine des amours ;
Et, quand le soir arrive au bout de la journée,
L’épine est dans le cœur, la rose s’est fanée,