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Un soir, on évoque l’esprit de Byron. Byron ne vient pas : sans doute ou Victor Hugo n’est pas là ou sa pensée est ailleurs, sans quoi Byron eût répondu en alexandrins français et romantiques ni plus ni moins qu’Eschyle ou que Shakspeare. A sa place Byron envoie Walter Scott, qui déclare :


<poem>Vex not the bard, his lyre is broken, His last song sung, hist last word spoken [1].

Que s’est-il donc passé ? Simplement ceci : Un jeune Anglais est dans la salle : c’est lui qui a demandé qu’on évoque Byron, et c’est lui qui consciemment ou inconsciemment, par l’intermédiaire de Charles, répond en anglais. Ni Charles, ni Victor Hugo ne savent l’anglais

Pour bien éclairer la question, il faudrait avoir entre les mains tous les comptes rendus de toutes les séances : et il y a lieu de croire que la personnalité de « l’influent » y apparaîtrait aussi clairement qu’elle apparaît dans les extraits publiés dans le Journal de l’exil ou dans les articles de J. Bois.

Voici l’un de ces procès-verbaux :


Samedi 3 heures, 24 septembre [2] ;

Charles Hugo et Auguste Vacquerie tenant la table. Auguste Vacquerie interroge en présence de Hugo, de Mme Hugo, de Mme Teleki, du général Le Flô.

— Qui est là ? — La Critique. — As-tu une communication à me faire ? — Oui. — Parle. — Sur les critiques et les romanciers modernes. — Parle. — Interroge. — Que penses-tu de Balzac ? — Il est le porte-clefs du cœur ; jusqu’à lui le cœur humain était verrouillé, la porte de l’âme des femmes s’entrebâillait. L’amour avait bien été tout grand ouvert par Shakspeare, par Gœthe et par Hugo. Mais les petites douteurs de cette immense souffrance étaient restées ignorées. Balzac a été l’huissier sublime qui fait l’inventaire du désespoir. Il a jeté sur l’âme dévastée de la femme trahie son coup d’œil profond et tendre ; il a sondé toutes les armoires ; il a ramassé le mouchoir trempé de larmes ; il a recueilli le ruban fané ; il a respiré la fleur tombée du bouquet de bal ; il a baisé le gant parfumé

  1. Ne tourmentez pas le barde, sa lyre est brisée, son dernier poème chanté, sa dernière parole dite.
  2. Le Gaulois du dimanche, 2 juin 1907.