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Molière est appelé à son tour, et, cette fois, Hugo prend la peine de l’interroger en vers :


Les rois et vous là-haut, changez-vous d’enveloppe ?
Louis quatorze au ciel n’est-il pas ton valet ?
François premier est-il le fou de Triboulet
Et Crésus le laquais d’Esope ?


On voit mal ce que Molière aurait pu répondre à un problème sans doute bien imprévu pour lui et comment son bon sens et son rire se seraient accommodés au ton fatidique des tables. Aussi bien Molière ne vient-il pas, et c’est une entité plus mystérieuse et plus effroyable qui répond dans la table à la place : c’est l’Ombre du Sépulcre :


Le ciel ne punit pas par de telles grimaces
Et ne travestit pas en fou François premier ;
L’enfer n’est pas un bal de grotesques paillasses,
Dont le noir châtiment serait le costumier.


Pour amadouer Molière, Victor Hugo le couvre de fleurs et il insiste :


Toi qui du vieux Shakspeare as ramassé le ceste,
Toi qui, près d’Othello, sculptas le sombre Alceste,
Astre qui resplendis sur un double horizon.
Poète au Louvre, archange au ciel, O grand Molière,
Ta visite splendide honore ma maison.
Me tendras-tu là-haut ta main hospitalière ?
Que la fosse pour moi s’ouvre dans le gazon,
Je vois sans peur la tombe aux ombres éternelles,
Car je sais que le corps y trouve une prison,
Mais que l’âme y trouve des ailes.


Et de nouveau, entre Molière et Victor Hugo, l’Ombre du Sépulcre intervient terrifiante :


Esprit qui veux savoir le secret des ténèbres
Et qui, tenant en main le terrestre flambeau,
Viens, furtif, à tâtons dans nos ombres funèbres,
Crocheter l’immense tombeau,

Rentre dans ton silence et souffle tes chandelles,
Rentre dans cette nuit dont quelquefois tu sors.
L’œil vivant ne lit pas les choses éternelles
Par-dessus l’épaule des morts.