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la mère pleurait ; une inexprimable émotion étreignait toutes les poitrines ; je sentais distinctement la présence de celle qu’avait arrachée le dur coup de vent. où était-elle ? nous aimait-elle toujours ? était-elle heureuse ? Elle répondait à toutes les questions, ou répondait qu’il lui était interdit de répondre. La nuit s’écoulait, et nous restions là l’âme clouée sur l’invisible apparition. Enfin, elle nous dit : Adieu ! et la table ne bougea plus. »

On aimerait à savoir quels furent, pendant ces premières séances, l’attitude et les pensées de Victor Hugo. Ce qui est bien évident, c’est la violence de la commotion cérébrale qu’il éprouva. La maison qu’il habitait à Marine-Terrace était « visionnée. » Les gens du pays disaient qu’on y avait vu errer un spectre, et que ce spectre apparaissait encore quelquefois sur la grève qui était à proximité : on l’appelait la Dame Blanche : un des premiers esprits qui hanta la table de Victor Hugo, ce fut cette Dame Blanche. L’esprit qui se trouvait dans la table, constate le Journal de l’Exil, déclara se nommer la Dame Blanche. Il se décrivit, mais il refusa de parler : il ne voulait, disait-il, s’expliquer que dans la rue à trois heures du matin. Victor Hugo trouva que l’heure et le lieu du rendez-vous étaient mal choisis. Il préféra demeurer chez lui, et tout le monde fit de même. Victor Hugo, ne pouvant trouver le sommeil, se mit au travail. Tout à coup, un violent coup de sonnette : le poète regarde sa montre. Il est trois heures du matin. A coup sûr, la Dame Blanche est là : « Les esprits sont ponctuels, » dit-il, mais il ne descendit pas. Une terreur panique l’immobilisait : cette terreur ne le quitta plus. « Autrefois, dit-il, dans le Journal, je dormais comme un homme tranquille, maintenant je ne me couche jamais sans frayeurs, et quand je m’éveille le matin, c’est avec un frisson. J’entends des esprits frapper dans ma chambre et ce bruit-ci : (Victor Hugo frappe sur une table. ) Il y a deux mois, avant que la Dame Blanche ait fait son portrait, je n’avais pas ces terreurs, mais maintenant, je le confesse, f éprouve une indicible horreur. »

Une indicible horreur, il faut retenir l’aveu. Il ne s’agit pas ici d’une curiosité amusée, ni même de l’angoisse passagère qu’ont les adeptes dans l’attente de l’Esprit. Victor Hugo croit, il croit comme un Pascal, dans le tremblement. De l’épouvante ressentie dans ces premières séances, il gardera toujours l’impression