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donc Hugo à devenir l’adepte des sciences spirites.

Ses théories philosophiques l’y menaient par un autre chemin. Dès 1851, à son collègue et voisin à la Chambre des Pairs, à Savatier-Laroche il déclarait : « Et moi aussi, je crois à l’élévation graduelle des âmes et à leurs migrations successives : j’ai sur ces matières un beau livre à faire. » — « Et moi aussi, » dit Hugo ; car la croyance à la circulation des âmes a déjà nombre d’adeptes, et qui furent de l’entourage de Victor Hugo : Fourrier, Hennequin, Raynaud. Hennequin, Raynaud seront des spirites pratiquants, tant il est vrai que la doctrine y conduit ! Cette doctrine, Victor Hugo l’affirme dans le Journal de l’exil en août 1852, un an avant les séances des tables tournantes : il l’étend à la nature entière, vivante, consciente et responsable à tous ses degrés : « De la bonne ou de la mauvaise conduite de l’homme dépend sa rentrée dans l’existence primitive et de la même manière chaque chose de la nature se transformera. La vie minérale passe à la vie organique végétale ; la vie végétale devient la vie animale dont le spécimen le plus élevé est le singe. Au-dessus du singe commence la vie intellectuelle. L’homme occupe le plus bas degré de la vie intellectuelle, échelle invisible et infinie par laquelle chaque esprit monte dans l’éternité et dont Dieu est le sommet. » Il n’y a plus qu’un pas à faire pour croire au flottement dans l’espace de tous ces êtres dématérialisés pendant leur passage d’un degré à un autre.

A cette double tendance au spiritisme, tendance physiologique et tendance intellectuelle, viennent s’adjoindre des causes occasionnelles. C’est la plupart du temps un grand chagrin, la perte d’une personne chère, ou un grand bouleversement moral, survenu à la suite d’un changement de fortune ou d’une déception d’ambition, qui jette les volontés affaiblies dans la croyance aux entités ou aux forces invisibles.

Qu’on se représente l’état d’esprit de Victor Hugo arrivant à Jersey en 1852. Cruellement blessé dans une ambition politique qu’il avait crue légitime, bafoué par la police du prince président, réfugié en Belgique, expulsé, il voit chaque jour s’affermir une souveraineté, contre laquelle Napoléon le petit et les Châtiments n’ont été pour un instant que les vains cris d’une colère impuissante. Espionné, déchu et déçu, il n’a pas encore pris, sur son rocher d’exil, l’attitude d’archange vengeur, où le