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Journal de l’Exil. Quand Saxe-Cobourg est mort et que sa mère est entrée dans la chambre, la vue du désespoir de cette grande femme pleurant son fils mort t’a causé une telle frayeur que pendant quinze jours tu ne pouvais rester seul une fois la nuit tombée. C’était la même chose avec la vision que tu as racontée comme étant le rêve du dernier jour d’un condamné. L’apparition de cette vieille femme t’a poursuivi longtemps. »

Le Dernier Jour d’un Condamné est de 1829. Et vraiment un frisson de peur saisit déjà le lecteur qui évoque l’horrible vision imaginée par l’écrivain. Cadavre ou fantôme, une vieille femme est debout près d’une armoire : interrogée, elle se tait ; poussée à terre, elle tombe comme une chose morte :

« Nous l’avons remuée du pied, puis deux de nous l’ont relevée et de nouveau appuyée au mur. Elle n’a donné aucun signe de vie. On lui a crié dans l’oreille, elle est restée muette comme si elle était sourde.

Cependant, nous perdions patience, et il y avait de la colère dans notre terreur. Un de nous m’a dit :

— Mettez-lui la bougie sous le menton.

Je lui ai mis la mèche enflammée sous le menton. Alors elle a ouvert un œil à demi, un œil vide, terne, affreux, et qui ne regardait pas.

J’ai ôté la flamme et j’ai dit :

— Ah ! enfin ! répondras-tu, vieille sorcière ? Qui es-tu ?

L’œil s’est refermé comme de lui-même.

— Pour le coup, c’est trop fort, ont dit les autres. Encore la bougie ! encore ! il faudra bien qu’elle parle.

J’ai replacé la lumière sous le menton de la vieille.

Alors, elle a ouvert ses deux yeux lentement, nous a regardés tous les uns après les autres, puis se baissant brusquement, a soufflé la bougie avec un souffle glacé. Au même moment, j’ai senti trois dents aiguës s’imprimer sur ma main dans les ténèbres. »

Voilà qui est digne du Théâtre d’épouvante et nul doute que Victor Hugo ne se fût complu dans cette littérature horrifique : car, du théâtre d’épouvante, il eut l’idée le premier. Le Journal de l’Exil nous apprend qu’en 1838, Victor Hugo proposait à Antenor Jolly la création d’un théâtre fantastique : « La chose tomba, dit Victor Hugo, à cause de la stupidité des directeurs,