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entre les doigts d’une jeune femme. Tous ces expérimentateurs s’amusent visiblement ; ni mystère, ni religiosité dans leur attitude : il s’agit d’un jeu qui ne réclame pas plus de recueillement que le nain-jaune ou de gravité que les jonchets.

Pour ceux-là le souffle de l’au-delà n’est pas encore monté de l’abîme ; ils ne cherchent point à pénétrer le secret du tombeau, encore moins à créer une métaphysique nouvelle : ce qu’ils appellent « les esprits » ce sont de vagues entités qui se bornent à faire osciller quelques meubles et à donner parfois de spirituelles réponses aux « devinettes » qu’on leur propose.

Quel contraste entre ces jeux de société et les graves séances de Marine-Terrace où, par l’intermédiaire des tables, les plus grands morts de l’humanité s’entretiennent solennellement avec Victor Hugo et où les voix du gouffre, les bouches de l’ombre lui révèlent le sens de l’univers !

L’empreinte du spiritisme sur l’œuvre de Victor Hugo est un phénomène qui ne s’est jamais reproduit au même degré dans notre histoire littéraire : jamais écrivain n’a été à ce point influencé, dans la pensée philosophique et dans l’expression poétique, par la croyance à l’intervention des forces occultes de la nature.

L’état d’âme d’un spirite est le plus souvent une sorte d’état secondaire, dans lequel il entre pendant les heures d’expérience et qui ne laisse point de traces dans le cours habituel de ses idées. Il est très remarquable que les spirites n’ont point la terreur des ombres à la présence desquelles ils croient, et qu’ils les écoutent d’ordinaire comme on lirait un livre ou comme on entendrait une conférence.

C’est Victorien Sardou qui fut en France un des premiers propagateurs de la science spirite, d’importation américaine à son origine. Il avait fait connaissance, chez miss Blackwell et chez Mme Japhet, d’un médecin du nom de Rivail : il aida Rivail à interpréter le langage des tables, et, sous le nom d’Allan Kardec, Rivail publiait en 1857 le Livre des Esprits, où il est difficile de faire la part de l’inspiration de Rivail et de celle de Sardou : il reste que Sardou fut un adepte convaincu du spiritisme. Sous l’inspiration, disait-il, de Bernard Palissy, il exécutait lui-même dans l’état médiumnique des dessins étranges qu’on trouve reproduits aujourd’hui dans presque toutes les publications de vulgarisation spirite : La maison de Bernard