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VICTOR HUGO
SPIRITE

« L’Europe entière, et que dis-je l’Europe, en ce moment le monde a la tête tournée d’une expérience qui consiste à faire tourner une table. On n’entend parler de toutes parts que de la table qui tourne ; lui-même Galilée, il a fait moins de bruit le jour où il prouva qu’en effet c’était la terre qui tournait autour du soleil... En vain, Meyerbeer nous donnerait un second Robert le Diable ; en vain M. Scheffer une autre Marguerite ; en vain Mlle Mars nous convierait à ses fêtes poétiques ; en vain Béranger écrirait un nouveau recueil de Chansons ; en vain nous dirait-on : la voilà qui nous revient à vingt ans, Mlle Taglioni, la sylphide ; ou voilà Fanny Elssler ; et lui-même Balzac, et Soulié lui-même arriveraient à nous les mains pleines de fictions... l’univers s’écrierait : la table et le chapeau ! »

Ainsi s’exprime Jules Janin au début de l’un de ses feuilletons de mai 1853, et, dans cette courte revue des actualités du second Empire, toute une société disparue s’évoque, curieuse et insouciante, prompte à l’engouement, mais au scepticisme aussi, et qui accueillit en riant le spiritisme au berceau.

Cette société trouvait à faire tourner les tables un plaisir puéril et léger : celui-là même qu’elle prenait aux escamotages de Robert Houdin, aux drames de Scribe et aux comédies de Labiche. Une gravure de même date, dans l’Illustration de mai 1853, nous montre, groupés trois par trois autour de guéridons, des gens du monde en toilettes de soirée, dont les uns s’évertuent à faire tourner une table, les autres s’ingénient à mettre en branle un chapeau haut-de-forme, pendant que d’autres concentrent leur attention sur un pendule qui oscille