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Sicile et de la Calabre. Ces montagnes offrent des aspects toujours variés, parce que leurs lignes sont entrecroisées, déviées, brisées, multipliées, comme celles des draperies du Bernin. Quand nous sommes venus là le soleil se levait : je n’ai jamais respiré d’air plus pur, admiré des couleurs plus fines, des formes plus belles, mieux fait ma prière.

Si vous voulez nous suivre, ma bonne maman, il faut absolument changer de tableau ; la nuit, sans lune, grelottant sous nos manteaux d’hiver, la figure fouettée par le vent, nous marchions péniblement entre de hautes arêtes de lave noire, sur d’immenses plaines de neige. Malgré une foule de bons conseils, nous avions voulu tenter l’ascension de l’Etna, qu’on ne fait qu’en été. Ronseray seul est arrivé en haut, si épuisé, qu’il n’a pu rien voir ; j’ai dû retourner, faute d’avoir acheté des souliers ferrés.

Syracuse est une merveille qui couronne dignement mon voyage. Je reçois votre télégramme, où je vois, encore une marque de votre bonté. Je pense revenir vendredi à Naples et lundi à Rome. Je commence à être éperdu d’avoir vu trop de belles choses ; et croyez bien que le bonheur ne sera complet que quand je vous reverrai.


Rome, lundi 27 avril 1874.

Chère maman,

Je m’étais bien promis de ne vous rien demander, et me voilà forcé de le faire : 1° le voyage de Sicile a été ravissant, mais un peu cher ; 2° enfin j’ai fait quelques folies que vous me pardonnerez, avec votre grande bonté ; ma passion pour la peinture, surexcitée par les merveilles que j’ai vues ici, n’a pu rester platonique. Après des achats vraiment pas trop maladroits, et des reventes, je reste à la tête de trois tableaux, dont une étude charmante, et deux œuvres vraiment magnifiques. J’ai pour vous une Sainte Famille de Schidone, l’émule du Corrège, laquelle a appartenu à la Duchesse de Parme : je ne puis vous dire avec quelle joie je vous rapporte ce souvenir.

Je vous ai écrit de Syracuse, mais sans vous raconter Syracuse. Figurez-vous un ciel, auprès duquel celui de Naples m’a paru pâle ; et pourtant point de fatigue pour les yeux, parce que ce sont les tons et non le brillant qui augmentent : le bleu est plus bleu, le jaune est plus jaune, le vert est plus vert ; mais