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qui s’entrecroisent ; Messine est à l’entrée : c’est une belle grande ville, bien placée au pied des montagnes, très orientale par l’absence des toits, les plantes exotiques, les oppositions de lumière éclatante sur la blancheur des murs et des dalles, et d’ombres épaisses et fraîches.

Après deux heures de repos, et autant de chemin de fer, nous grimpions les pentes de Taormine. Figurez-vous d’abord une ville entourée de murailles sarrasines, perchée sur un rocher, pendue au-dessus de la mer ; nous arrivons après une heure de marche par des sentiers de chèvres, à sa porte hospitalière, à cette poterne des forteresses du Moyen-âge, dont l’aspect est toujours si poétique. Autrefois on y arrivait après des dangers et des fatigues : on y entrait avec joie et soulagement, comme dans une arche de Noé : aujourd’hui les routes sont sûres et les forteresses restent inutilement crêtées sur leur roc, cachées sous leurs murs, comme de vieilles prudes, affectant de redouter des périls depuis longtemps évanouis ; pourtant on aime leur apparence à la fois batailleuse et protectrice, et l’on pense en franchissant leur seuil aux voyageurs d’autrefois. Des petits enfants saluent notre arrivée du haut des remparts et se précipitent au-devant de nous. Nous nous enfonçons d’abord dans des petites ruelles étroites, côtoyant une église, une fontaine, plus d’une maison curieuse ; enfin nous tombons en présence de la mer. Mais c’était le lendemain, au lever du soleil, au milieu des ruines du théâtre grec qu’il fallait la voir.


Syracuse, mardi.

En avant de Taormine et un peu plus haut, sur un promontoire, les Grecs ont creusé dans le roc un vaste amphithéâtre, en demi-cercle, regardant le Sud ; la scène est fermée par un grand mur encore debout, orné de niches à statues, de colonnes, percé de portes pour l’entrée des acteurs, conservant encore des qualités de sonorité inexplicables, et si parfaites, qu’il renvoie en haut des gradins le moindre son, et cela en plein air. Ce mur était percé de larges ouvertures et d’ailleurs pas assez haut pour empêcher les spectateurs de passer des vers d’Eschyle à la contemplation de la pleine mer et de l’Etna. Quand ils sortaient, tournés vers le Nord, ils voyaient venir sur eux le grand courant du détroit de Messine : un fleuve immense, emprisonné entre les montagnes magnifiques de la