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Je vous promets d’aller chez Mme de Galliera. J’irai aussi chez Mme de X... , je sais quelles amies elles sont. Mais, je vous en conjure, pas trop de visites ! Si vous saviez à quel point ces comédies fades m’écœurent et ne servent à rien ; combien j’aime mieux ma chambre et mes livres, mes vrais amis, — car je ne suis pas misanthrope, — et, le soir, vous seulement ! Il ne faut pas embrouiller sa vie de politesses et de cartes de visite, — ni charger sa cervelle de phrases convenues, et de fadaises de salon.


Chère maman.

J’ai reçu ce matin la lettre si bonne, si encourageante que vous m’avez écrite à propos de mes vingt et un ans. Ces fameux vingt ans que tout le monde pleure, exalte, dépeint avec ivresse, dans les livres, n’ont pas été beaux pour moi. On prétend que cet âge est fécond en passions de toutes sortes, en illusions charmantes ; pour moi, le chagrin a fauché les illusions, et les passions n’existent guère. Mes vingt ans ainsi passés, je ne songe plus guère aux joies de ce monde, et le prends, je vous assure, au sérieux. Cela vaut mieux sans doute.


Chère maman,

Je suis bien touché de vos deux excellentes lettres. Vous auriez eu bien tort de jeter au feu la première : on n’a jamais fait de plus affectueux sermon. C’est de quoi attendrir un pécheur aussi endurci que moi, et de quoi animer un paresseux aussi invétéré, dont le monde s’étonne de ne pouvoir rien tirer. Mais accordez-moi une simple question : le monde s’étonnait-il déjà quand j’étais en nourrice ? En vérité, le monde est bien pressé : j’ai vingt-deux ans, j’ai presque fini mon droit, je suis licencié ès lettres, j’ai été attaché d’ambassade, de préfecture et de ministère. J’ai fait la guerre, et même des discours ! C’est agir, tout cela ; agir médiocrement, je le reconnais, mais agir d’après mon âge. Ce serait mieux d’avoir été déjà ambassadeur, préfet, ministre, général en chef et professeur de Code civil : mais qu’y faire ? J’ai vingt-deux ans.

Sérieusement, ma chère maman, ne vous troublez pas pour moi. J’ai mon temps et je ferai ma petite place. Je ne nie pas ma paresse : c’est là mon genre de volupté, genre innocent. Vous dites que le bon Dieu met ce péché au rang des autres : convenez