Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire supporter la vie. Et puis, je sais le bonheur actuel de papa complet ; mais peut-être pouvons-nous ajouter au bonheur même d’un élu en remplissant ses désirs et en suivant ses exemples. Votre respectueux et pour toujours dévoué

DENYS.


Peu de temps après, Denys Cochin fut attaché au ministère de l’Intérieur.


MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR


Paris, avril 1872, mercredi.

Ma chère maman,

Il est quatre heures, l’heure de ma délivrance approche et je profite d’un moment pour vous griffonner quelques lignes.

Je suis content ; rien ne rend content comme un travail bête ; il n’y a point là d’effort impuissant, de désir inassouvi qui trouble la sérénité de la bonne conscience. Je suis content comme un bon vigneron, content comme un bon maçon qui s’est consciencieusement emplâtre tout le jour.

Et puis il fait un beau soleil dans notre petit jardin. Je vous ai déjà décrit les haillons de vigne-vierge qui sortent de caisses vertes à gros ventre, et essaient inutilement, dans leur ascension pénible, de cacher les lézardes de notre vieille maison. Nous avons aussi trois lilas qui font tout ce qu’ils peuvent pour produire, au fond d’un véritable puits, quelques maigres fleurs ; et puis un petit monsieur en marbre moussu, vêtu d’un caleçon antique et orné d’un nez postiche, qui a éternellement l’air de dire : « Je suis laid, mais pour ce qui m’entoure, bien assez beau. »

Voilà ce que je regarde quand je perds mon temps. Aussi j’en perds moins qu’à La Roche.

Il y a ici de très bons garçons ; on fait des farces comme au collège, établissant des ficelles entre les fenêtres, sortant dès que le chef de bureau n’y est plus, piquant une tête dans la mare des paperasses dès qu’on entend son pas.

Je ne suis pas fâché de connaître un peu ce métier, comme j’ai fait pour le métier de soldat. Je travaille… mais cependant, chère maman, il faut vous y résigner ; je ne suis encore ici qu’en amateur. Je tâche d’apprendre, de regarder. . »