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En février 1872, M. et Mme Cochin acceptaient la proposition du duc de Broglie, alors ambassadeur à Londres, de lui envoyer Denys en qualité d’attaché d’ambassade.


Londres, février 1872.

Chère maman,

... J’ai fait très bon voyage hier, et je n’ai pas manqué le mal de mer qui parait très à la mode entre Calais et Douvres. Arrivé ici à six heures et demie, j’ai trouvé le duc de Broglie partant pour le banquet des sociétés de Bienfaisance françaises et j’ai diné tout seul.

Je n’ai jamais vu de déplacement d’hommes comparable à celui d’hier, ni d’agglomération aussi monstrueuse [1]. Les trains depuis deux jours apportaient des flots de curieux. Dans les rues, toutes pavoisées, on avait payé des prix fabuleux le droit de mettre son nez au coin d’une fenêtre. La voie était remplie de gens plus ou moins foulés autour des longues files de voitures, et merveilleusement contenus par les policemen ou par des piquets de superbe cavalerie. La foule de Londres ne ressemble pas du tout à celle de Paris ; c’est plus calme, moins bruyant ; ça s’écrase sans bruit et ça reçoit des coups de bâton sans se plaindre. C’est aussi plus laid : les figures des hommes sont raides, et les chiffons des femmes de mauvais goût. Quant aux pauvres, ne connaissant pas la blouse, ils ne peuvent porter que des habits qu’une antique usure a fait déchoir de leur valeur primitive ; ils ont tous l’air de mendiants.


Londres, février 1872, jeudi.

Ma chère maman,

Je crois que je n’ai pas fini de vous conter la cérémonie de Saint-Paul, et même que je vous ai laissée au milieu de la foule. Cette foule était maintenue à distance et ne pénétrait pas sur la place Saint-Paul ; des cavaliers gardaient l’entrée de toutes les rues et ne laissaient passer que les gens à billets, dont j’étais. Autour de l’église on n’avait plus à fendre qu’une foule d’équipages magnifiques, de dames en robes de soie, de cochers à perruque et de pairs à perruque. Choisis dans une foule immense, les rares heureux à qui l’entrée était permise suffisaient

  1. Denys Cochin arrivait au milieu d’une fête populaire dont Londres est coutumière.