Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/510

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intrus tout seul est protestant ; ils souffrent en silence et s’imposent pour leur prêtre. Depuis vingt ans seulement, on leur permet de construire des églises ; et de ce sol foulé il a surgi partout des cathédrales magnifiques de goût et de richesse. Les maçons ont offert l’autel, les chiffonniers le chemin de croix ; tout l’édifice est l’orgueil, la propriété, le luxe de pauvres mendiants qui, de leur vie, n’ont porté des souliers ni bu un verre de vin. Voilà ces affreux communistes qui consentent à se passer de maisons, mais veulent des temples : quelle exigence !

J’admire beaucoup M. Monsell qui est le bon sens en personne, et cela avec un cœur très chaud et très généreux. Ces qualités sont rarement si bien unies. Il est de plus d’une simplicité et d’une bonhomie charmantes, et ne parle de politique que le soir, à l’heure du Parlement, après s’être profondément endormi dans son fauteuil. Il m’a fait voir les principales institutions de Limerick, entre autres le Workhouse, sur lequel je voudrais bien savoir l’avis de papa. Tous les pauvres ont droit à être logés et nourris. C’est une idée socialiste, certes, bien plus avancée que le « droit au travail. » Je ne l’approuve pas ; mais j’approuve encore moins la façon dont on la pratique. Le Gouvernement s’arrange pour nourrir et loger les pauvres gens si mal qu’ils préfèrent la prison au Workhouse. On m’a expliqué la finesse de ce mécanisme. Êtes-vous riche ? vous avez le droit de refuser l’aumône. Etes-vous pauvre ? vous mourrez de faim plutôt que d’aller la demander à l’État. Que dites-vous de ce lâche subterfuge ? Le Workhouse de Limerick est un des plus confortables. M. Monsell m’a fait remarquer avec une certaine fierté, que le Gouvernement, prétendu tyrannique, y avait installé des sœurs de la Miséricorde : il paraît que c’est là une faveur colossale ! Et sur les six cents affamés de ce taudis, il n’y en a pas dix qui manquent la messe !

Adieu, chère maman, à bientôt. Mais écrivez-moi. Je suis ravi des trois ans donnés à M. Thiers [1]. J’espère que Dieu aussi les lui donne.

  1. Pouvoirs donnés par l’Assemblée nationale.