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Le temps me manque pour te répondre plus longuement et m’épancher avec toi. Nous vivrons beaucoup ensemble au retour et j’en jouis bien d’avance. J’attends avec impatience de tes nouvelles de Londres.

Ton père

AUGUSTIN COCHIN.


Tervos, dimanche 3 septembre 1871.

Chère maman,

Je suis ravi de mon voyage. Jamais je n’en ferai d’aussi extraordinaire. Au fond je ne suis pas fâché des manifestations frénétiques que j’ai vues ; j’ai trouvé ridicules moi et mes compagnons, tous si étrangement surfaits dans nos personnes et notre mission, et si évidemment employés malgré nous par les partis politiques. Mais j’admire beaucoup ces pauvres Irlandais, qui, sous leur ciel gris, ont des cœurs si chauds, et je crois que l’Angleterre aura reçu d’eux un avis salutaire qui l’empêchera de nous chercher querelle imprudemment. Je ne puis pas douter que 100 000 Irlandais, et cela seulement à Cork, à Limerik et à Dublin, ne soient prêts à se faire hacher pour nous. M. de Broglie écrivait hier à M. Monsell en parlant de « manifestations intempestives. » Je ne puis trouver que des manifestations enthousiastes en faveur de la France soient aujourd’hui intempestives. Mais M. de Broglie ajoutait qu’il viendrait sous peu en Irlande ; il aurait peut-être estimé les manifestations alors plus tempestives. Certes, il doit bien compter que lui Français, mais attaché au Gouvernement de Londres, ne les rencontrera pas.

Ici, toute la bonne société que je vois, rit jaune. On prétend que nous avons été acclamés par des fenians, pires que les communistes. Je réponds timidement que ces monstres n’ont pas d’autres idoles que Mac Mahon et l’Evêque d’Orléans, et qu’un pareil culte témoigne après tout de meilleurs sentiments que l’adoration pour Billioray et Ferré.

Mais je n’ai pas vu comme eux toutes les horreurs dont sont capables des gens restés catholiques, malgré trois cents ans de persécution cruelle ; restés patriotes, malgré trois cents ans de domination ; restés patients et honnêtes, malgré des lois qui aujourd’hui encore les empêchent d’acquérir un pouce de terre. La loi les force de payer un ministre dans des villages où cet