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Shelbourne, août 1871.

Cher père,

Je ne vous écris qu’un mot : on n’est pas tous les jours à Dublin ; il faut courir pendant qu’on y est. Vous n’avez pas idée de notre arrivée ici ; du port à la ville, nous avons fait deux lieues en quatre heures, en voitures magnifiques, comme soudés au milieu d’une foule ivre des meilleurs sentiments ; la plupart n’ont pas de bas, beaucoup pas de culottes, tous un drapeau tricolore. Le père Flavigny ressemble à un soleil de moisson. J’ai eu ma part de gloire : je ne sais comment ; on m’a hurlé cent fois aux oreilles : Long live the Standard Bearer ! [1] J’ai même tout à fait failli être étouffé, ce qui est un grand signe de popularité, et j’ai béni Dieu de m’avoir donné pour jarrets des arcs-boutants, et des poings capables de faire le vide autour de ma poitrine.

Je suis en admiration devant ce peuple enthousiaste de choses généreuses et de braves gens. Ils confondent la France et l’Irlande, l’Angleterre et la Prusse. Le Pape et l’évêque d’Orléans sont sans cesse acclamés ; puis Mac Mahon et Bourbaki. Pour Mac Mahon c’est une ivresse. Je crois que son fils a bien fait de ne pas venir ; je juge, d’après mes courbatures, ce que leur enthousiasme aurait fait du Marshalls paddy [2] ; car c’est par ce nom qu’ils le réclament à tous les coins de rues.

Adieu, mon cher père, vous ne m’en voudrez pas de vous quitter si vite ; je vous conterai plus longuement mes aventures quand ma curiosité sera satisfaite.


Glencariff, jeudi 24 août 1871.

Cher père,

Je ne puis obtenir une plume, pardonnez-moi. Je fais en somme un voyage ravissant, bien que fatigant : les ovations, les foules, les tapages sont étourdissants ; on nous fait passer pour une ambassade en Irlande ; ce qui est un immense événement dans le pays, et me déplaît assez. Je m’efface et m’amuse de mon mieux

Je suis inquiet de n’avoir rien de vous. Ecrivez-moi chez M. Monsell. J’y serai samedi soir, séparé de ma bande. Connaissez-vous O’Sullivan et John Martin ? [3] Ils vous ont entrepris

  1. « Vive le porte fanion ! »
  2. « Le Patrich du Maréchal. »
  3. Nationalistes Irlandais.