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qui secouent du haut en bas la machine gouvernementale. Au fond, le changement permanent est plus stable que l’immobilité ; une roue est plus difficile à casser qu’un pieu. On apprendra à crier « Le Président est à bas : vive le Président ! » comme on faisait pour le Roi.


La Roche, 27 mai 1871.

Ma bonne grand mère,

Je pense que tous les affreux événements que nous apprenons de loin, auront doublé les émotions de Versailles. Vous voyez les bandes de prisonniers, les drapeaux, les canons, tous les trophées de ce triste triomphe. Je suis bien heureux que maman soit avec vous à même de connaître toute la vérité ; ici nous n’avons qu’un écho sourd et continu du canon, et les bavardes nouvelles des journaux qui babillent ou déclament sur des crimes si affreux qu’on voudrait s’en assurer par ses yeux.

Est-il vrai que tous nos beaux monuments soient en feu ? et que la sauvagerie humaine ait été jusqu’à pomper du pétrole sur les Tuileries, à en verser par tonneaux dans les caves des ministères et de l’Hôtel de Ville ? Je suis un peu effrayé d’une lettre de Pierre qui me dit que papa a tenté de pénétrer dans ce foyer d’incendie. N’est-ce pas encore imprudent ?

M. Delescluze rappelle ce sot individu qui mit le feu à un temple grec : est-ce celui de Delphes ? Ces vaillances révolutionnaires sont d’ignobles lâchetés dans le langage des honnêtes gens.

Je suis bien fier de voir combien grand père est entouré, consulté, estimé, vraiment chef de son parti ; mais j’ai peur quelquefois que les glorieuses fonctions de leader ne le fatiguent. Ces présidences doivent demander une attention et une fermeté d’esprit si continues, si incessantes et sans repos pendant de longues heures ! J’ai vu aussi sur votre table un livre de finances gros comme Bouillet, qui m’a fait frémir : quel océan de chiffres ! Quelle forêt vierge de calculs ! Je considère comme un reste de clémence, pour la France, la force d’âme et de corps que Dieu conserve à grand père, et je prie pour nous tous en priant pour lui.