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le public à son émotion, à son dévouement, à ses bonnes intentions. Il parle plutôt avec une contraction générale des muscles, qu’avec une grande chaleur de sentiments ; et son discours d’hier aboutissait, je trouve, assez naïvement à dire : « l’honorable M. Ternaux a tort, mais l’illustre M. Thiers n’a pas raison. »

Au milieu du tumulte, M. Dufaure est plusieurs fois monté à la tribune, et d’une voix nasillarde, lente, tranquille, a résumé en quelques mots tout le débat ; puis est retourné à sa place. Ces petits éclaircissements, étonnants de lucidité, venaient, au moins pour moi, tout à fait à propos.

Grand père est revenu furieux contre M. Thiers. Cela ne m’a pas surpris.

Ne vous découragez pas, car c’est une vraie bêtise que vous ne soyez pas à la Chambre ; cela ne peut durer. A votre place, j’entreprendrais toutes les candidatures proposées. Qu’importe que quelques-unes manquent ? Et qu’importe aussi de tirer pour quelques années le diable par la queue ? Il l’a si solide !

J’ai regretté de voir grand père si peu en peine de votre succès. Ses amis sont étonnants de parti pris et de vraie étroitesse. Ils érigent tout en credo, et mettent leurs idées en fioles comme les apothicaires leurs drogues. On regarde aux étiquettes pour verser de la politique, de l’histoire, du commerce, de la poésie, des comptes en partie double, de la musique, etc. Tout cela est sain, mais sent un peu le rance. J’aime mieux de grands esprits moins paisibles, mais plus féconds, qui ressemblent à de beaux miroirs et reflètent tout ce qu’on leur présente.

Je vous ai dit que ce séjour à Versailles m’a fait comprendre la royauté ; il m’a fait aussi aimer la République. Car d’abord tous les arguments de grand père me prouvent à la rigueur la nécessité, mais jamais la légitimité d’un roi. Il n’est légitime qu’avec le droit divin, et le droit divin est une invention moderne : Saint Louis n’y croyait pas. Ensuite la raison répugne trop à cette fiction d’un être que la naissance ou le suffrage élèvent au-dessus de tous les orages : l’histoire de notre siècle prouve que cela n’est plus possible. Charles X seul a occupé héréditairement le trône ; et Napoléon n’a pas survécu trois mois à son plébiscite. Enfin, je ne crois pas absolument fondée cette timidité qui saisit l’esprit à la vue des troubles